TABLE DES MATIERES
EDITORIAL
EDITORIAL
TEMOIGNAGES
Prends courage, lève-toi, il t’appelle
Et si l’on se laissait éduquer
REFLECHISSONS
La communauté de Corinthe et la question de la viande
immolée aux idoles
Le dialogue avec les pauvres
pour l’identité de notre communauté
Devenir chrétien quotidiennement
est un art qui construit la communauté
Récrimination et salut
La vie de st Daniel Comboni, une source d’inspiration
pour vivre le projet de vie communautaire
Dialogue, le pont vers...l’autre
Le thème de l’année
Victime de péché structurel
POEME
Confiance ,tu étais là
Chers lecteurs,
Entre vos mains, se trouve, en ces débuts de 2011, le numéro d’Heureuse Aventure. A tous, nous souhaitons de bonnes performances au cours de ce nouveau marathon qui vient de commencer. Qu’il nous soit une de plus heureuses aventures de notre existence sur la terre des hommes.
Avec le souci de nous aider mutuellement à atteindre l’objectif de faire de notre vie une heureuse aventure, nous vous présentons, dans le présent numéro de notre revue, certaines de nos expériences missionnaires et des réflexions sur le thème annuel que nous avons retenu comme point focal de notre projet communautaire. Il s’intitule de la manière suivante: « Vers une communauté responsable dans le dialogue et la confiance. »
Après le partage de deux expériences missionnaires parmi les Bayaka de Wungu (village à la périphérie de Kinshasa) et les pygmées de Maboma (un village dans la forêt équatoriale du côté de la Province Orientale), les autres articles abondent autour du thème annuel. Ainsi trouverez-vous des réflexions sur : la confiance, la responsabilité, la charité, la fidélité à la volonté divine, l’ouverture aux pauvres qui nous évangélisent aussi, le dialogue-chemin du salut qui mène aux autres et à l’Autre, une communion fraternelle inspirée du Christ d’une part et d’autre part du père fondateur saint Daniel Comboni, etc.
La matière est donc abondante. Il y a du pain sur la planche. Prenez votre temps pour découvrir les détails que renferme chaque article. Bonne lecture… et si vous pouvez aussi vous permettre d’en faire un objet de méditation, nous souhaitons que vous en obteniez beaucoup de fruits.
P. Stéphane Kamanga
« Prends courage, lève-toi, il t’appelle».
Une route étroite qui serpente vers le Nord-est de Mangengenge conduit un missionnaire à quelque chose de bon, d’unique, de difficile et d’édifiant. Partant de la paroisse combonienne Notre Dame du Bon Secours de Bibwa qui se trouve dans la périphérie de Kinshasa, c’est sur cette route poussiéreuse à une dizaine de kilomètres que se situe un vrai trésor missionnaire, une chapelle de Wungu.
Cette année qui s’achève, au mois de juillet, Wungu a accueilli trois jeunes scolastiques comboniens pour une expérience missionnaire qui durerait deux mois. Il s’agit de Chilimba Pius (Malawite), Kpata Gessland (Centrafricain) et Metin Alex (Béninois). Les cris de joie des enfants courant derrière notre voiture lors de l’arrivée ont révélé à quel point notre présence était désirée.
Le village de Wungu est formé par une population presque homogène : la tribu Bayaka. Il est situé à une distance d’au moins 20 kilomètres de la ville de Kinshasa. Malgré ce voisinage, il bénéficie trop peu de la vie urbaine. C’est un village qui n'a pas d’eau potable, d'hôpital, de marché, de magasin, de moulin, d'électricité, de réseau téléphonique. On n’y trouve pas d’école au vrai sens du terme. La population vit dans des maisonnettes faites de bois et de pailles. Pour accéder à ces nécessités qui manquent dans ce village il faut faire un chemin d’une dizaine de kilomètres environs. Ce tableau révèle le genre de pauvreté que le peuple vit au quotidien. En vivant dans cette communauté chrétienne l’on découvre qu’il y a un manque de minimum vital comme la nourriture et l'eau. Un bon nombre de jeunes se marient très tôt et il y a des réalités d’enfants abandonnés à eux-mêmes et aux grands-parents. Alors que beaucoup pensent que c'est dans le village où l’on cultive pour vendre en ville, ici c'est le contraire. Il y a trop peu d’agriculteurs parce que l’activité principale de la population est la fabrication du charbon. La région est sèche. Le feu de brousse et le déboisement qui se font au long de la rivière qui alimente ce village en eau risquent d’aggraver la pénurie d’eau dans l’avenir. Malgré tout cela, la richesse de ce village est sa population qui reste si généreuse et accueillante.
Du point de vue religieux, Wungu est dans un contexte de première évangélisation et le catholicisme n'y est pas encore profondément enraciné. La présence remarquable des sectes et des autres religions lancent un grand défi à la jeune communauté catholique. Pour la messe dominicale, il y a toujours une bonne participation des enfants et des adultes. Les jeunes restent un groupe qu’il faut beaucoup encourager à s’engager activement dans les activités de la chapelle. Comme un défi, il y a trop peu d'engagement personnel dans les différents groupes de la chapelle.
Compte tenu de ces réalités, on peut se demander qui est missionnaire parmi ces gens? Inspiré de l'Evangile de Saint Marc (10, 46-49), la péricope de l’aveugle de Jéricho, un missionnaire est celui qui, après avoir contemplé le Christ, le missionnaire par excellence du Père, entend sa voix appelant l'humanité au salut. Par l’évangélisation, un missionnaire aide ses frères et sœurs dans la foi à écouter cette voix du Christ et à le rencontrer, c’est-à-dire, après avoir entendu la voix du Christ lui-même, son témoignage personnel de vie chrétienne doit faire entendre aux autres ces paroles de l’Evangile : «prends courage, lève-toi, il t'appelle». (cf. Mc 10,49). Il devient donc un frère dans la foi qui encourage ses frères et sœurs (d'autres Bartimées) à rencontrer le Christ afin qu'ils puissent être sauvés.
L'évangélisation dans ce cas doit prendre en considération les besoins humains et spirituels des personnes à évangéliser. « Entre évangélisation et promotion humaine - développement, libération - il y a en effet des liens profonds. Liens d'ordre anthropologique, parce que l'homme à évangéliser n'est pas un être abstrait, mais qu'il est sujet aux questions sociales et économiques ». (cf. Evangelii Nuntiandi n° 31). Inspiré par cette approche de l'évangélisation de l'Église et le contexte missionnaire de Wungu, il faut que les responsables de l'Eglise et les chrétiens de cette chapelle soient spirituellement et humainement bien formés pour répondre aux besoins et aux défis quotidiens de leur existence chrétienne et humaine.
Le « prends courage, lève-toi, il t’appelle» d’un missionnaire ne joue pas seulement un rôle de montrer aux peuples à évangéliser où se trouve leur salut, mais il montre également comment y arriver. Prendre courage et se mettre débout est une invitation lancée aux peuples à évangéliser à répondre au salut qui leur est offert, à s’engager activement pour leur libération. La libération ici ne se limite pas aux horizons spirituels seulement mais comprend aussi la libération économique, intellectuelle et politique.
Il est vrai que le missionnaire doit être un témoin de l'Evangile qu'il prêche. "L'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres (…) ou s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins" (Allocution aux membres du Conseil des laïcs, 2/10/1974, cf. Evangelii Nuntiandi n°41). C’est aussi vrai que tous les baptisés doivent être des témoins authentiques du Christ par leur fidélité à lui. La fidélité des baptisés est une condition primordiale pour l’annonce de l’Evangile et pour la mission de l’Eglise dans le monde. Pour manifester devant les hommes sa force de vérité et de rayonnement, le message du salut doit être authentifié par le témoignage de vie des chrétiens. Le témoignage de la vie chrétienne et les œuvres accomplies dans un esprit surnaturel sont puissants pour attirer les hommes à la foi et à Dieu. (CEC n° 2044).
Pour un missionnaire, le « prend courage, lève-toi il t’appelle » exige une certaine attitude fondamentale à savoir l’humilité. Un missionnaire doit montrer le Christ aux autres sans chercher lui-même à devenir le centre d’attention de la mission qui lui est confiée. L’Eglise, elle-même envoyée par le Christ, envoie un missionnaire annoncer la Bonne Nouvelle. Il ne doit jamais oublier ces Paroles de son maître : « le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé ». (cf. Jn 13,16). Même après avoir bien exécuté leur mission ; les missionnaires doivent dire toujours : « nous sommes de simples serviteurs ; nous avons fait ce que nous devions faire ». (cf. Lc 17, 10).
Finalement, pour les peuples à évangéliser, le « prends courage, lève-toi, il t’appelle » est une invitation à répondre au salut qui leur est offert à travers un engagement personnel et spécifique. Un missionnaire qui doit prêcher ces paroles par sa propre vie n’en sera capable qu’en faisant siennes ces mêmes paroles, c’est-à-dire, lui aussi doit prendre courage de se lever chaque jour à la suite du Christ qui l’appelle.
Sc. Pius Albert Joseph Chilimba.
Et si on se laissait
éduquer…
S’il y a un peuple qui gît encore sous la domination d’autres peuples, s’il y a une race, une catégorie d’êtres encore considérées comme inhumains et donc dans l’état entre les êtres humains et les animaux, c’est bien la race pygmée. En effet, nombreux sont les récits et les témoignages qui décrivent les pygmées comme des sous hommes. Tous ces récits ont pour but de militer en faveur de leur possible développement voire leur humanisation. Ce sont des récits qui mettent plus l’accent sur les éléments négatifs (pour la plupart) que l’on retrouve dans les us et coutumes des pygmées.
Sans toutefois remettre en cause la vérité que pourraient contenir ces récits – car on s’accordera sur certaines affirmations à l’encontre de la culture pygmée en se basant sur des critères officiellement acceptables - nous nous proposons de relever certains aspects positifs et donc constructifs qui peuvent aider l’homme à construire un monde meilleur.
La première chose qui interpelle lorsqu’on se donne la peine de vivre parmi les pygmées est ce vécu harmonieux avec la nature. Les pygmées vivent de la nature, y trouvent tout le nécessaire pour leur subsistance mais ils accordent également un très grand respect à cette nature qui les soutient. C’est un peuple qui sait reconnaître et déchiffrer le langage de la terre et de tout ce qu’elle contient. Jamais je n’ai vu un peuple qui sache s’adapter au temps et saisons comme les pygmées. Notre monde d’aujourd’hui qui subit les conséquences néfastes et irréversibles du changement climatique, n’aurait-il pas besoin d’un tel système de vie pour rendre notre existence terrestre meilleure ? Vivre dans une dépendance respectueuse de la nature signifie aussi recevoir tout comme don de Dieu et lui être dépendant. C’est, en fait, faire l’expérience de ses limites en tant qu’être créé, de son état de créature et reconnaître l’omnipotence de Dieu de qui l’homme reçoit tout, en qui demeure tout et pour qui tout existe (cf. Col 1, 15-17).
Un deuxième élément que l’on retrouve dans la culture pygmée est celui de la solidarité, une solidarité basée non sur des critères tribaux mais sur des bases ontologiques. En effet, bien que les pygmées vivent dans des campements éloignés les uns des autres, ils se considèrent toujours un seul peuple. Qu’un pygmée meure à 70 km ou même plus, tous – je veux dire les jeunes et adultes – s’efforcent de s’y rendre et cela, dans le plus bref délai. Qu’un autre tombe malade, c’est toute la race pygmée qui en souffre… cette solidarité ne se manifeste pas uniquement pendant les moments de souffrance et de deuil. Elle est encore plus sentie pendant les moments de fête et de joie tels que le mariage et la danse. La danse, moment de retrouvailles, moment de réjouissance se caractérise par le pèlerinage de tous vers le lieu où elle se déroule et cela, toute la nuit. Tous, excepté les souffrants et les enfants, s’y rendent car les liens communautaires priment sur les activités individuelles. Une leçon pour nous sur la vie communautaire qui, aujourd’hui, souffre de ce virus presqu’incurable qu’est l’individualisme. Chez nos frères pygmées, la vie se mène en commun ; la cueillette, la chasse, la danse, le manger, bref, tous participent au même butin.
Vu ce qui précède, on aurait l’impression d’être devant un monde archaïque et désordonné. C’est une apparence car à vrai dire, le monde pygmée est bien structuré et organisé. C’est un monde où règne la hiérarchie. En effet, le pygmée qui, bien qu’il mène une vie autre, vit toujours lié aux Bantus, ne se considère jamais supérieur à ces derniers. Au contraire, il accepte volontiers vivre en dépendance de son maître muntu qu’il sert joyeusement et de qui il s’attend à être rémunéré et traité avec du respect. Dans chaque campement existe un chef à qui l’on doit du respect et obéissance. Chacun, enfant, jeune, adulte, vieux, accomplit les devoirs qui lui incombent et jouit des droits qui lui reviennent. Ainsi, la communauté pygmée jouit d’une telle harmonie qu’en les voyant, l’on ne peut s’empêcher de penser à la première communauté chrétienne; une autre leçon pour notre vie en communauté et en société décimées par la spoliation des droits de l’homme.
Le mariage constitue un des moments d’expression de la solidarité, avons-nous dit plus haut. Les pygmées affichent une telle solidarité pendant le mariage de leurs frères et sœurs car pour eux, le mariage, plus qu’une simple étape de la vie, plus qu’un acte coutumier, est un engagement à vie. Cet engagement revêt une grande importance à cause de ses exigences et surtout la fidélité de la part des conjoints. En effet, les sanctions contre l’infidélité sont tellement cruelles que peu osent enfreindre à la loi de la fidélité dans le mariage. Une des questions qui marquent notre époque concerne le bienfondé du mariage : « vaut-il encore la peine de s’engager sur un chemin aussi épineux qu’est le mariage ? » La conséquence de cette tergiversation envers le mariage est le nombre croissant de divorces que nous avons aujourd’hui. Mais ce sont là des préoccupations pour les citadins et non pour le pygmée. Pour ce dernier, le mariage rentre dans le dessein divin et c’est une nécessité indispensable pour la vie. C’est d’ailleurs dans le mariage que l’on montre sa maturité, son courage face à la vie. C’était une grande surprise que de constater que pendant les deux mois de séjour parmi nos frères pygmées, parmi les dizaines de célébrations du sacrement du mariage, on ne pouvait compter qu’un seul couple bantu. Le phénomène est tellement frappant qu’un catéchiste, lui-même non encore religieusement marié, affirma : « les pygmées sont désormais les premiers et les bantu les derniers » en se référant aux paroles de Jésus (cf. Mt 20, 16). Encore une leçon pour nous sur le sérieux de la fidélité dans nos différents engagements ; le religieux pour sa vie consacrée et le marié pour sa fidélité matrimoniale.
Enfin, l’on ne peut pas vivre parmi les pygmées sans s’émerveiller de leur culture du travail. Déjà dès la jeune enfance, le pygmée apprend les techniques nécessaires et utiles pour sa vie de chasseur, de père de famille, de mère de famille, pour sa vie de cueillette, etc. dans cette perspective, la paresse n’a pas sa place dans le monde pygmée. Chacun et chacune se bat sans se lasser en vue d’assurer la subsistance quotidienne, l’hébergement, etc. et chacun joue le rôle qui lui revient de telle sorte qu’à la fin de la journée, tous, mais alors tous, puisse se sentir satisfait et se reposer en paix et dans la joie. Dans notre monde – surtout en Afrique – où la culture véhiculée est celle de la fainéantise et du gain facile, nous entraînant dans les vices sociaux que sont le vol armé, les pratiques magiques en vue de s’enrichir au moindre effort, la prostitution, etc., on se demande si nos frères pygmées ne nous donnent pas une autre leçon à partir de leur culture du travail ?
D’aucuns disent que les pygmées sont les premiers habitants de la forêt, d’autres les nomment nos aïeuls… Si de telles affirmations sont vraies, nous pensons que c’est alors une invitation à nous de « revisiter » la culture de ces aïeuls pour en apprendre des leçons pour notre vie actuelle. Au lieu de s’arrêter uniquement sur ce qui nous y choque à cause des différences notoires avec nos cultures, il serait plus édifiant de nous laisser instruire, mieux, nous laisser « évangéliser » par ceux-là que nous appelons « nos aïeuls ».
Sc. Johnny Hanson
LA COMMUNAUTE DE CORINTHE ET LA QUESTION DE LA VIANDE IMMOLEE AUX IDOLES
La première épître aux Corinthiens est essentiellement celle des réactions et réponses à des problèmes concrets, posés à l’Apôtre. En effet, après la première réponse portée sur la question du mariage et du célibat (1Co 7, 1- 40), l’Apôtre des gentils amorce la réponse à la question des viandes sacrifiées aux idoles, (1Co 8, 1- 11, 1).
Au fait, à Corinthe, tout évènement marquant de la vie familiale, civique ou professionnelle comportait l’offrande dans un temple. On sacrifiait beaucoup de bêtes sur les autels. C’était un signe d’appartenance à la cité, et on mangeait ensuite les viandes sacrifiées. Ne pas les manger signifiait se marginaliser de la cité. Une petite partie de la bête était brûlée pour les dieux. Alors, un repas suivait soit dans les annexes du temple, soit dans les maisons privées où on consommait une partie de cette viande offerte à dieu. Ces viandes ainsi offertes étaient appelées « théothytes». Mais les juifs et les chrétiens pour marquer leur dégoût, les nommaient « idolothytes ». Comme les sacrifices étaient très nombreux dans le temple et qu’on ne pouvait pas les consommer toutes sur place, les surplus étaient vendus dans les étales du marché. Ainsi, la question posée à l’Apôtre est de savoir :
Peut- on manger les idolothytes vendues normalement au marché ?
Oui ! disaient les Corinthiens.
Non ! disaient les Judéo- chrétiens.
Oui ! disait Saint- Paul, mais, à condition de ne pas scandaliser la conscience des faibles, (1Co 8, 8- 9). Cependant, comment alors savoir la volonté de Dieu ?
La volonté de Dieu se reçoit par la gnose, une science qui ouvre à la connaissance de la volonté de Dieu. Ainsi, pour les juifs, c’est par la Torah que l’on arrive à la connaissance de la volonté de Dieu. Or, selon Saint Paul, cette connaissance n’est perceptible qu’à travers l’agapè. Si quelqu’un aime, il sait ce que Dieu veut, il connaît Dieu.
L’amour permet la science de cette gnose divine. Ce n’est donc plus la Torah. Selon Saint Paul, la connaissance enfle, et l’amour édifie. Ne pas manger les idolothytes serait reconnaître leur caractère sacré. Pour Saint Paul, ce n’est pas un aliment qui nous rapprocherait de Dieu. Si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins, si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus. Car pour lui, certains néophytes ont une faiblesse dans le jugement puisqu’ils estiment mauvaise une action objectivement indifférente. Dans ce contexte, l’accent est surtout mis sur leur faiblesse de caractère, de spiritualité.
La conscience paulinienne est donc susceptible de faiblesse. Elle peut être souillée, édifiée ou influencée en mal, par des mauvais exemples. Mais au-delà de tout, le chrétien est un homme affranchi, doué de liberté.
La liberté implique ici le respect de l’autre. Pour les forts, manger de la viande sacrifiée aux idoles est un critère décisif de la liberté et de la connaissance. C’est presque une démonstration de la non-existence de l’idole. Pour eux, aucun danger à participer à des cérémonies païennes sans valeur et à consommer des viandes sacrifiées. Mais ils font courir un danger aux autres, les consciences faibles. Pour Saint Paul, l’amour construit, l’amour édifie. Lui qui est un fort, est prêt à être faible avec les faibles, à s’abstenir de toutes viandes et à renoncer à sa liberté personnelle, pour manifester celle du Christ. Il renonce à ses droits, pour faire triompher l’Eglise. Saint Paul invite donc à la charité qui doit primer sur la liberté des jugements. Car une liberté vidée de toute charité scandalise et tue les faibles.
Israël au désert a été nourri de nourriture spirituelle et abreuvé de breuvage spirituel. Cela n’a pas empêché la plupart de se livrer à l’idolâtrie. De même, les Corinthiens doivent prendre garde, fuir l’idolâtrie, choisir entre la table des démons et la table du seigneur.
Ce texte affirme l’incompatibilité de la pratique eucharistique avec la participation au sacrifice païen. L’Eglise est constituée par le baptême, elle se nourrit de la Cène. C’est à ce niveau visible que se réalise la communion. La recevoir c’est s’y engager, faire un choix pour aujourd’hui et pour demain. Par ces faits, la communion avec le Christ nous rend libre, nous arrache à l’idolâtrie. Saint Paul s’adresse à des gens avisés, sensés et capables de réfléchir. Car pour lui, la communion avec le Christ, engage la communion avec les autres et les idoles. On ne peut servir deux maîtres. Entre la table du Seigneur et celles des idoles, il faut opérer un choix, sous peine de courir la colère du Seigneur.
Par ailleurs, pour lui, la viande n’est qu’un simple aliment. Avant d’être sacrifiée, elle fait partie de la création et comme telle, elle est un don de Dieu. Dans ces conditions, elle peut être mangée sans scrupule. Mais qu’on achète toute viande sans se poser des questions.
S’il y a danger de vrai scandale, et si le repas devient une épreuve pour la foi parce que les viandes proviennent des sacrifices païens, alors, par respect de la conscience d’autrui, savoir renoncer à sa liberté, savoir renoncer à en consommer par égard pour les faibles.
Paul formule ici une règle qui doit permettre de porter remède aux divisions dans la communauté. Pour l’apôtre, il faut l’attention sur l’égalité d’appartenance à Jésus- Christ. Car la gloire de Dieu conduit le peuple à sa destination finale, révèle qui est Dieu, et comment il agit. Ainsi, tout faire pour la gloire de Dieu, c’est maintenir la communion et la cohésion de la communauté.
Selon Saint Paul, c’est l’édification de la communauté qui compte. Dans cette harmonieuse édification, la charité l’emporte sur la liberté. Telle est la spécificité de la morale chrétienne chez Saint Paul.
Cette question des idolothytes posée par la communauté de Corinthe à l’apôtre Paul est pleine de sens et de signification pour nous aujourd’hui. Dans un monde comme le nôtre, plusieurs problématiques se posent de la sorte et de façon identique : « est-il permis oui ou non » de….
Sc. GAMENDE Aubert
Une communauté de disciples envoyés avec l’Esprit du Seigneur Jésus …
Vers une communauté responsable, dans la confiance et le dialogue … voilà ce qui est au cœur de notre préoccupation pour grandir dans le Christ, dans notre être disciples au service de son Evangile, pour cette année…
Responsabilité, confiance et dialogue sont trois attitudes et trois ensembles de comportements qui doivent caractériser un « cénacle d’apôtres » comme le nôtre est appelé à devenir.
Mais un cénacle d’apôtres n’est pas une maison fermée, au contraire. Jésus Christ, après sa mort et avec la force de sa résurrection entre dans le cénacle, brise les portes, surtout brise la peur des disciples : du cénacle on peut – et on doit – sortir ; dans le cénacle on peut et on doit entrer. Et les disciples (c’est ainsi que l’Evangile appelle les apôtres dans le cénacle) qui ont reconnu le Seigneur quittent la maison tranquille pour aller avec le Christ et vers lui, là où il a fixé sa tente de pèlerin : au milieu de l’humanité.
Le Seigneur Jésus avait déjà fait cela dès les débuts. Luc nous montre Jésus sur la montagne en prière, là il choisit les douze et tout de suite il descend avec eux au milieu d’une foule, au sein de cette humanité souffrante qui se rassemble autour de lui pour écouter sa parole qui est sa force de régénération.
Ainsi donc, parmi les « responsabilités » qui sont confiées à notre communauté il y a les personnes à qui nous sommes envoyés, celles parmi lesquelles nous vivons. Cette responsabilité se nourrit et vit de l’attitude même de Jésus bon pasteur au milieu de ses brebis : il en prend soin, il en a compassion. Le disciple, envoyé comme Jésus et avec son Esprit, qui arrache du cœur des apôtres les mauvais esprits de la convoitise, du pouvoir, du légalisme, de se considérer maîtres et propriétaires du troupeau, et crée un esprit nouveau de miséricorde, de service, de don total de soi, devient témoin de Jésus en devenant configuré à Lui.
C’est dans le dialogue avec eux que nous devenons ce que nous sommes appelés à devenir, de telle manière que « l’ouverture » aux autres soit constitutive de notre être communauté missionnaire.
Ce que dit notre dernier Chapitre Général …
Notre dernier chapitre général a beaucoup insisté sur cette attention envers les personnes, envers les pauvres, qui ne sont pas seulement les destinataires de notre mission, mais ceux à travers qui le Seigneur nous apprend à devenir une communauté missionnaire à la manière de S. Daniel Comboni. C’est donc dans le dialogue avec eux que nous apprenons à être authentiquement témoins de Jésus. De ce que nous dit le chapitre, en voici quelques passages :
« En tant que Comboniens, nous découvrons dans le mystère du Cœur du Bon Pasteur la raison qui nous anime pour une donation totale et qui nous pousse vers les plus pauvres et les plus abandonnés. Pour vivre cette spiritualité nous devons mettre au centre de notre vie la Parole de Dieu, la vie et les Ecrits de s. Daniel Comboni, la RV, la tradition de notre Institut, le magistère de l’Eglise et d’une manière particulière la mission qui nous porte à vivre avec les gens. » (20)
« Ecouter Dieu qui nous parle dans sa Parole, la réalité des pauvres, les situations de violence et d’insécurité, le monde avec sa beauté et ses contradictions » (27. b)
« Nous voulons donner une place prioritaire à l’écoute et à l’étude de la Parole de Dieu, à la lectio divina, à la prière personnelle et communautaire. Nous voulons aussi lire et approfondir la réalité, l’histoire et la vie des pauvres comme le lieu de la manifestation de Dieu le Père et de la présence de Jésus Christ et de l’Esprit. » (29)
« Les pauvres et ceux qui ne sont pas évangélisés. La compassion de Jésus à l’égard des brebis sans berger et sa préoccupation pour les laissés pour compte sont des paradigmes de la mission combonienne. Les signes des temps qui « parlent » au combonien et lancent un défi à son action souvent proviennent du cri des pauvres, de leur condition de vie, des situations-frontière des non-chrétiens, souvent au-delà des confins visibles de l’Eglise. » (56.9)
« La mission enseigne. C’est la mission qui nous montre la manière et les moyens nécessaires pour un renouvellement réel. Elle-même nous dit comment être missionnaires et elle nous invite à avoir une attitude humble et constante d’écoute des besoins des peuples. En même temps, à travers un discernement approprié, elle nous fait découvrir la présence de Dieu parmi les gens, présence qui précède toujours l’action missionnaire. » (58.1)
« Le contexte privilégié de la FP est la mission. A travers le contact avec les gens, et en particulier avec les pauvres, l’Esprit de Dieu façonne en nous l’image de son Fils, qui de riche s’est fait pauvre (cf. 2 Co 8,9), pour grandir ensemble, en partageant tout et en accueillant tout. » (140.3)
Car « nous confronter avec les autres nous aide à savoir quelle est l'identité que nous manifestons (“Pour les gens, qui sommes-nous?”) » (9.4)
Cela n’est pas valide seulement pour les communautés engagées dans l’apostolat, mais pour tous, car c’est une question qui concerne notre être, notre identité de disciples du Christ à la manière de Daniel Comboni. Cela concerne aussi notre communauté en tant que communauté de formation :
« Former des missionnaires qui ont une profonde expérience de Jésus Christ dans le contexte de la spiritualité, de l’identité et de la mission combonienne, avec un style de vie sobre pour vivre et évangéliser en communauté (cf. RV 90.2), exige : mettre la Parole de Dieu au centre de la vie missionnaire, découvrir la présence de Dieu dans la vie des peuples, s’ouvrir au partage, à la solidarité, à la transparence et à la coresponsabilité dans la vie fraternelle en communauté. » (95)
Apprendre à faire cause commune …
Dans le dialogue avec les pauvres, avec confiance, en mettant de côté les préjugés qui pourraient devenir une sorte d’autodéfense pour ne pas nous mettre en discussion radicalement, nous assumons avec responsabilité la recherche de nouvelles formes de vie missionnaire, où vivre cette dimension essentielle de notre vie : faire cause commune avec les plus pauvres et les plus abandonnés. Cette forme de présence missionnaire concerne, par ex : « le style de vie de nos communautés … des orientations et des mesures concrètes pour une plus grande proximité de nos communautés avec la vie des gens, en syntonie avec l'option préférentielle pour les pauvres … » et peut nous conduire à « de nouvelles propositions pour des expériences communautaires d'insertion radicale, après un opportun discernement et en dialogue avec l'Eglise locale. » (11.3)
Cela n’est pas une stratégie, mais une question d’identité et de cohérence et d’harmonie entre notre être, notre style de vie et notre agir missionnaire.
Il nous reste encore à réfléchir aux formes à donner à ce « dialogue » avec les pauvres, à cette lecture de la réalité à travers laquelle Dieu nous parle pour que nous devenions en réalité ce que nous sommes.
P. Fermo Bernasconi
Devenir chrétien quotidiennement est un art qui construit la Communauté
« Choisir de suivre le Seigneur sur une voie de consécration totale implique bien des renoncements et des sacrifices. Mais c’est aussi un chemin parsemé d’une multitude de joies et de grâces que le Seigneur réserve à ses élus ». Notre choix de vie n’est qu’un chemin pour atteindre l’objectif de toute la vie chrétienne : vivre dans la charité enracinée dans l’amour de Dieu.
Avant tout, le chemin doit commencer en Jésus, l’initiateur et promoteur de la vocation chrétienne. Il faut croire en sa vocation et en celle de l’autre comme don du Christ. Le Christ s’adresse à chacun(e) dans une manière, une situation particulière et unique pour créer une communauté avec lui (cf. Mc 1, 16-20; 2,13-14; 3, 13-19). Sans cette conscience, nous bâtirons notre communauté sur le sable.
La vie communautaire est si complexe en tant qu’elle est constituée des hommes. C’est tout une découverte. C’est un apprentissage, un exercice, un processus qui durera toute la vie à cause de ce qu’il y a de problème et de mystère dans la personne humaine. Une attitude permanente d’apprendre à apprendre. Apprendre à vivre - non pas des attitudes, des disciplines qui nous viennent de l’extérieur, imposées par la société ou par une autorité quelconque, même s’il y a cet aspect aussi - mais plus profondément apprendre à vivre des attitudes comme des modalités d’être et d’existence en relation profonde, fraternelle avec Dieu, avec les autres, avec soi-même. Apprendre à vivre ensemble, à vivre avec les autres pour grandir et faire grandir, pour donner et recevoir la vie.
Vivre en communauté exige un effort personnel. Dès que des humains sont rassemblés, ils se mettent à lutter pour avoir la meilleure place, pour le pouvoir, pour montrer qu’ils savent mieux que les autres ou bien encore pour être les plus en vue. Dans cette même perspective, c’est intéressant de noter que l’Evangile est si humain, il montre des scènes familières qui nous montrent combien nous réagissons tous de la même manière. Pensons à Jésus en route avec ses disciples qui commencent à se mesurer les uns aux autres, à se disputer pour savoir qui est le plus grand, le meilleur, le plus capable (cf. Mc 9, 33-37). Pierre n’était pas prêt, manquait de courage, et il avait beaucoup à dire ; Thomas doutait de l’invisible (manque de foi) ; Simon le Zélote était violent ; et tous les autres disciples avaient leurs qualités et limites. Jésus sait que la rivalité a des racines très profondes dans le cœur humain. On veut tellement être aimé ou à défaut être admiré. On a tellement peur de ne pas compter pour les autres qu’on lutte pour s’affirmer ou pour prouver qu’on est le meilleur…
Malgré tout cela, Jésus nous appelle à vivre en communauté pour que nous ayons aussi cet expérience du conflit, que nous découvrions aussi qu’il y a des personnes que nous aimons et d’autres que nous ne supportons pas, que nous prenions conscience de ce que cela provoque en nous. Chacun en effet réagit différemment : certains s’enferment dans la dépression et d’autres fuient dans les compensations ou sont rongés par la jalousie ou bouleversés par la haine ou la colère…
C’est important que nous fassions cette expérience car c’est par là que nous comprendrons un peu ce que Jésus demande à ses Apôtres quand il leur dit : « Aimez-vous les uns les autres ». Et il ne sera pas étonnant de constater une rivalité qui se lève en nous : « Non ! Je ne peux pas aimer celui-ci ou celui-là ». En ce moment, Jésus nous dira : « Mais je vous le dis à vous qui m’écoutez : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent » (Lc 6, 27.29). Oui, il est facile d’aimer ceux qui nous aiment. Nous sommes tous attirés par les compliments, la bonne opinion que les autres ont de nous. Face à cela Jésus nous dit : « Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. »
Mais qui est mon ennemi ? Et bien, l’ennemi n’est pas à chercher au loin, ce n’est pas un étranger lointain mais souvent quelqu’un tout proche de moi : cette personne que je ne supporte pas dans ma communauté, dans ma famille, dans mon apostolat, dans mon travail, etc celle qui me met en danger parce qu’elle est trop différente et qu’elle m’empêche d’être moi, celle qui menace ma liberté, ma créativité, ma joie de vivre par sa seule présence…
Il est normal que nous ayons des ennemis mais nous devons aller au-delà. Il est important pendant la prière personnelle, pendant une recollection ou une retraite, de demander en vérité devant Dieu, qui est celui qui me bloque, me menace, m’angoisse, me fait fuir et que je fais tout pour éviter, pour ne pas le rencontrer. Bien sûr, Dieu, dans sa fidélité, me le révélera. Face à cette révélation, on pourrait sentir des résistances: « Non, ce n’est pas possible. Je n’y arrive pas, elle m’a fait trop de mal, elle me détruit… Je ne peux pas l’aimer ! C’est simplement impossible. » Mais Jésus te répondra : « C’est vrai ; tu ne peux pas, mais fais-moi confiance, rien n’est impossible à Dieu ». Sans doute, ce commandement est d’abord une promesse : « Avec moi, tu pourras aimer, jusqu'à aimer tes ennemis. »
Voilà une découverte d’un chrétien ! Un chemin à poursuivre. Dieu est le Maître de l’impossible. Tant que nous n’avons pas découvert que ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu, nous ne sommes pas vraiment disciples de Jésus. La vie du disciple, c’est d’aller jusqu’au bout, jusqu'à ce que cela devienne possible et de découvrir alors que Dieu peut rendre l’impossible possible.
Il faut alors un amour qui discerne et qui aide à vivre en communauté, selon les attitudes et les modes d’existence suivantes:
Apprendre à aimer, accepter, accueillir l’autre dans sa différence, son originalité, sa richesse. Construire l’unité dans la différence et la complémentarité, non dans l’uniformité. Il faut toujours nous référer à la réalité concrète de Dieu: le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas l’Esprit Saint, mais ils ont le même Amour qui fait l’Unité dans la Différence.
Apprendre à être une personne de pardon, de compassion et de miséricorde. Apprendre à se reconnaître non seulement dans « l’enfant prodigue » qui se met en route vers son père, mais également dans le « fils aîné qui ignore son besoin aussi du pardon ». Mais surtout apprendre, avec la grâce et la force de l’Esprit, le Dieu-Père et Mère qui accueille et qui pardonne (cf. Lc 15, 11-32).
Apprendre à vivre en communauté non pas pour paraître et donner une bonne image face aux autres, mais pour être avec les autres et pour les autres. Nous avons été créés à l’image de Dieu et du Christ; c’est cette image, la seule, que nous avons à communiquer aux autres. Leur donner notre « être » et non notre « paraître ».
Apprendre à communiquer avec les autres, avec soi, avec Dieu dans le faire ensemble de la communauté. Apprendre à être vrai, transparent. Éviter les mots à double sens, le langage sarcastique, indirect qui blesse l’autre. Communiquer en paroles, gestes, attitudes, c’est entrer en communion avec l’autre dans la communauté. Il y a des « paroles et des silences » qui font souffrir; il y a des « paroles et des silences » qui construisent.
Apprendre à se conformer de façon réaliste dans la vie avec les autres, en groupe ou en communauté: je n’arriverai pas à changer l’autre pour qu’il s’adapte à moi, c’est à moi de me changer pour m’adapter à l’autre. Autrement dit je ne peux pas changer, réformer les autres. Je ne peux réformer que moi-même. Indirectement ma capacité d’auto-réforme, d’auto-conversion peut porter l’autre dans la communauté à opérer son propre changement. Chacun, chacune a la clé de son propre mystère.
Apprendre à écouter. Écouter Dieu, les autres, écouter l’Esprit qui habite en nous et qui veut nous parler, c’est tout un art. Pour cela, apprendre à articuler silence et parole, « l’être seul avec soi-même », « l’être ensemble avec les autres », « l’être seul avec Dieu ». Solitude et communion font aussi partie de la formation humaine, l’hygiène humaine et mentale, la propreté de soi et du bien commun. Cette façon d’exister aide à créer un environnement agréable pour le vivre ensemble. Au fond, la formation humaine consiste à faire de soi « un lieu humain » où le Fils de Dieu puisse s’incarner pour se révéler et se donner. Nous avons à nous humaniser pour que le Christ nous divinise.
Voilà ce qui nous fera chrétiens jour après jour, les élèves au lieu de maîtres en vie communautaire.
Sc. Olok Denis
Un des modes de protestation les plus connus et appliqués est la récrimination. Très habituel dans nos murs, elle peut consister en une manifestation de mécontentement vis-à-vis de maintes situations ou diverses personnes. Peut-on être sauvé par la récrimination ? Pas difficile à résoudre comme équation en tout cas. Pas de discours philosophique donc ; mais une simple lecture assez libre de certains faits bibliques.
Dans l’histoire d’Israël, notamment pendant la traversée du désert, une attitude fondamentale que l’on ne peut se garder de remarquer est celle de la récrimination. Déjà au moment de l’oppression, ils « gémissaient sous le poids de leur esclavage, ils crièrent et leur cri montait de leurs lieux de travail jusqu’à Dieu ». Leurs cris furent entendus et, du Buisson ardent, Dieu envoya Moïse à leur secours. La suite des événements n’est pas à retracer ici.
Ils ont eu, à travers différentes expériences à se rendre compte que le Dieu qui venait les libérer, non seulement les aime mais est capable de faire des prodiges par la main de son serviteur Moïse. Toutefois la mémoire du passé, face aux épreuves passagères du temps présent, ne put les pousser qu’à récriminer : « Nous te le disions déjà en Égypte : Laisse-nous servir les Égyptiens ! Mieux vaut pour nous servir l’Égypte que mourir dans le désert. » (Ex. 14,12), disaient-ils quand Pharaon et ses armés s’avancèrent pour les mater et qu’ils se trouvaient incapables de passer les flots de la mer rouge. « Pourquoi Yahvé ne nous a-t-il pas fait mourir au pays d’Egypte ? Là nous pouvions nous asseoir devant des marmites de viande et nous mangions du pain comme nous voulions ; mais vous nous avez fait aller à ce désert pour y faire mourir de faim toute cette foule. » (Ex 16,3), s’indignèrent-ils en face de l’incertitude d’avoir à manger pour tous dans ce désert. Et quand, dans sa grande bonté et puissance, le Seigneur leur donna de la manne, « Donne-nous de l’eau à boire ! » (…) « Pourquoi, dit-il, nous as-tu fait sortir d’Égypte ? Est-ce pour nous faire mourir de soif, nous, nos fils et nos troupeaux ? » (Ex 17, 2-3).
La situation telle quelle s’est avérée dure, et pour Dieu et pour son serviteur Moïse. Soit Moïse n’en peut plus et Dieu prend la situation en main en lui dictant que faire, soit c’est Dieu qui ne comprend plus ce peuple à la nuque raide, qui prend la décision de la détruire et, à Moïse de se faire le médiateur.
La récrimination, acte de protestation à tout bout de champs est une attitude, à la fois, de manque de confiance vis-à-vis de celui à l’endroit de qui elle est adressée ; celui qui récrimine se met en situation d’enfance, n’accepte pas sa situation et ne se permet même pas d’entrer en dialogue. Son fruit, c’est la mort. Ainsi, toute cette génération qui récrimina n’eut pas la chance d’entrer dans la terre promise car « Yahvé l’avait juré : il ne leur ferait pas voir le pays qu’il avait promis à leurs pères de nous donner, pays où ruissellent le lait et le miel » (Jos 5, 7). Quand bien même la récrimination n’empêche pas le salut, elle est reprouvée par l’Eternel.
Récrimination et dialogue ne sont ni frères ni cousins car en récriminant, on se place d’ors et déjà en situation de faiblesse. Récrimination et responsabilité se rejettent aussi car qui récrimine n’est pas à même d’accepter sa situation ni de lui faire face.
Dialogue et responsabilité sont de véritables voies de salut. L’épisode des trois crucifiés de Golgotha nous en dit long. Un des malfaiteurs crucifiés, à la suite de tant d’autres qui n’arrivent pas entrer dans l’intimité de Jésus, l’insultait : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même et nous avec toi. » (Lc 23, 39). Il n’assume pas sa situation et n’ose pas affronter la réalité en face ; « N’as-tu donc pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous c’est justice : nous payons ce que nous avons fait ; mais lui, il n’a commis aucun crime. » (Lc 23, 40-41). Il assume sa responsabilité puis s’installe le dialogue qui introduit le cet autre dans l’aujourd’hui du salut.
Nous avons donc trouvé la voie du salut : la responsabilité dans la confiance et le dialogue. Que nous reste-il donc ? La récrimination et le salut se sont côtoyés dans les deux types d’exemples dont nous venons de faire la lecture. Toutefois, il n’y a pas eu de salut sans conversion ; la conversion des cœurs et des regards.
Sc. Alex Canisius
LA VIE DE SAINT DANIEL COMBONI, UNE SOURCE D’INSPIRATION POUR VIVRE LE PROJET DE VIE COMMUNAUTAIRE
I. Pour beaucoup, saint Daniel Comboni est perçu comme un père spirituel qui a révélé l’amour de Dieu. L’amour, tel est le fil conducteur qui traverse toute sa vie : de l’enfance à la mort.
Né d’une famille pauvre, saint Daniel Comboni a expérimenté dans sa propre chair les souffrances de simples gens : difficultés de se faire soigner, mortalité prématurée de ses sept frères et sœurs, insuffisance des salaires de ses pauvres parents pour payer ses frais scolaires. Heureusement Daniel Comboni fut providentiellement aidé par Don Mazza, un prêtre qui offrait aux enfants intelligents issus des familles pauvres, la possibilité de poursuivre des études.
Les conditions de pauvreté dans lesquelles Comboni a grandi, ont aiguisé sa sensibilité aux souffrances, peines et difficultés des autres. Ainsi pouvons-nous le voir, alors jeune prêtre, âgé de 23 ans, se dédier à secourir les malades de choléra à Vérone, au grand risque d’en être contaminé.
La sensibilité de Comboni pour les pauvres n’est pas une simple compassion humaine. Elle est aussi une attitude spirituelle qui jaillit de la contemplation du Crucifié au Cœur transpercé. Son engagement missionnaire en faveur de la « Nigrizia » trouve son impulsion originelle et son énergie vitale dans la contemplation du Cœur transpercé du Christ bon Pasteur. Cette conclusion ressort, entre autre, de sa conception sur la vie missionnaire:
«... Transporté alors par un mouvement de cette charité allumée par une divine flamme sur le sommet du Golgotha, sortie du côté du Crucifié pour embrasser toute la famille humaine, il (le missionnaire de la « Nigrizia ») sent redoubler les battements de son cœur, et il lui semble qu’une impulsion céleste le pousse vers ces régions hostiles pour y étreindre entre ses bras ces malheureux frères sur lesquels pèse encore la malédiction de Cham, et pour donner à tous un baiser de paix et d’amour » Ecrits 2742.
Cette expérience spirituelle est celle que Comboni a lui-même vécue avant de la proposer à ses missionnaires. Il y a puisé la force de se détacher de ses pauvres vieux parents pour se consacrer à l’œuvre de la régénération de l’Afrique. Les multiples difficultés rencontrées en terre de mission (climat torride, maladies, calomnies…) n’ont pas ébranlé sa passion pour la malheureuse Afrique.
En Comboni, spiritualité et engagement, contemplation et action se mêlent dans un tout harmonique et complémentaire. Prenons en exemple, l’épisode dit « d’illumination ». Pendant qu’il priait sur la tombe de saint Pierre à Rome, inspiré de tout ce qu’il savait de la situation de l’Afrique et des services missionnaires qui s’y déployaient, l’intuition de son plan : « Sauver l’Afrique par l’Afrique » lui traversa l’esprit comme un éclair. Son objectif était de rendre l’africain protagoniste de sa destinée et de l’évangélisation de ses propres frères.
Alors que l’homme africain était chosifié par le pouvoir colonial et économique de l’époque, Comboni, lui, avait confiance en l’africain comme un sujet capable de collaborer à l’avènement du Règne de Dieu. C’est la précieuse perle noire qui manquait dans la catholicité de l’Eglise. Comboni s’est battu corps et âme afin de l’y intégrer et de le faire accepter.
Pour réaliser son plan, il a invité toutes les forces de l’Eglise à vivre et à agir comme un cénacle d’apôtres (Ecrits 4088). Pour lui, la mission découle d’un centre, c’est-à-dire du feu de l’amour divin, où les missionnaires se sentent connectés et d’où ils partent pour rayonner de la gloire même de Dieu partout où ils sont envoyés.
II. Ce regard sur la vie de saint Daniel Comboni manifeste sa présence ou compagnie sur le chemin formatif que nous sommes en train de parcourir. Cette année le discernement communautaire nous a emmenés à retenir comme priorité, l’effort de construire une communauté responsable dans la confiance et le dialogue.
Comme le Seigneur Jésus aux disciples d’Emmaüs, Saint Daniel Comboni fait route avec nous, et nous instruit des attitudes fondamentales à adopter pour atteindre les objectifs que le projet communautaire nous a fixé cette année. Par sa vie, il nous inspire les attitudes suivantes :
En premier lieu, l’acceptation de nos pauvretés ou limites. L’expérience de pauvreté familiale, de limites personnelles et incompréhensions vécues par Comboni nous demandent d’accepter nos propres limites comme des grâces divines (des croix, comme lui-même les appelait) susceptibles de transformer nos cœurs de pierre en cœur de chair, c’est-à-dire de nous rendre compatissants de limites et difficultés des autres. C’est en fait, vivre la béatitude des pauvres de cœur, ou l’esprit d’humilité.
Cette attitude nous ouvre aux mystères de Dieu. En effet le Seigneur se révèle aux petits et humbles de cœur (cf. Mt 11, 25). L’expérience dite d’illumination vécue par Comboni est à comprendre en ce sens. Par cet événement, au cœur même de sa vie spirituelle et missionnaire, Comboni nous fait comprendre que « si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs.» (cf Ps 127,1). C’est donc une invitation à nous ouvrir au Seigneur, à le mettre au cœur de notre vie. Il s’agit plus concrètement de soigner notre vie de prière. En fait, c’est par le Seigneur, avec Lui et en Lui que toute communauté religieuse se fonde.
L’expérience de Dieu dans la vie de Comboni se révèle aussi dans sa vision de l’homme. Son engagement contre la traite négrière démontre que, pour lui, l’homme est sacré car créé à l’image de Dieu. A travers cette anthropologie, Comboni nous inculque une autre attitude fondamentale, c’est le respect de l’être humain comme sanctuaire de la Très Sainte Trinité. Nous exercer à porter un tel regard sur chaque membre de la communauté nous emmène non seulement à respecter l’autre dans sa dignité inaliénable, mais aussi et surtout à découvrir dans le confrère la même vocation qui nous a convoqués et réunis en vue d’accomplir une commune mission.
Alors nos différences ne se constitueront pas en des obstacles de la communion, mais bien au contraire, elles seront mises au service de tous afin d’accomplir l’unique et commune mission. Comboni nous emmène à cette attitude de complémentarité, quand il invite toutes les forces de l’Eglise à s’engager comme un cénacle d’apôtres en vue de la régénération de l’Afrique.
Tout compte fait, j’ai relevé en quelques lignes certains aspects fondamentaux de la vie de saint Daniel Comboni: sa sensibilité aux pauvres, la contemplation du Crucifié au cœur transpercé et son plan missionnaire de régénération de l’Afrique par l’Afrique. Ces trois aspects constituent une source d’inspiration pour nourrir une communion de vie, car ils mettent en évidence certaines attitudes fondamentales pour bâtir une communauté religieuse : l’acceptation de ses propres limites, la compassion, l’humilité, la centralité du Seigneur, le respect de l’être humain comme sanctuaire de la Très Sainte Trinité, et la complémentarité dans les différences individuelles.
P. Stéphane Kamanga
DIALOGUE, LE PONT VERS… L’AUTRE
Nul ne peut douter de l’importance et de la nécessité du dialogue dans le modus vivendi des êtres humains. Or, cet être humain est un homo socialis, c’est dire il a besoin de rapports sociaux pour se réaliser en tant que tel. De ce fait la société ou dans notre cas la communauté religieuse est le lieu privilégié où ces rapports sociaux se concrétisent et se réalisent. La communication entre les différents membres de la société ou communauté reste un impératif pour la bonne démarche des affaires et des rapports interpersonnels. Cela équivaut à dire que la société ou la communauté parait comme le lieu idéal d’accueil et de partage, en un mot de dialogue. Mais, ce lieu idéal qui est la société ou communauté est sous d’autres angles, notre Golgotha. Car ce que nous avons dit plus haut que la communauté est le lieu idéal - ‘le lieu de paix, de vraie fraternité, bref de l’amour’- peut maintes fois paraitre un leurre, quand nous découvrons qu’il est plutôt le lieu de révélation de nos limites et de nos égoïsmes, qui peut être nous ne nous en rendrions compte jamais. Et le dialogue est et peut être l’une de ces innombrables limites. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de réfléchir sur le «dialogue », bien sûr dans le contexte de la communauté, tout en nous basant sur notre expérience, si petite soit-elle nous a appris que le dialogue est un viaduc qui nous mène vers l’autre et voire même vers le Transcendent, si de ce fait, nous acceptons que l’autre est aussi imago dei tel que nous.
Cependant, nous vous prévenons que, nous ne prétendons pas faire ici une summa dialogos, mais partager avec vous chers lecteurs notre compréhension de ce terme ‘magique’. De ce fait, dans cette odyssée dialogique, nous essayerons de répondre à quatre questions à savoir : qu’est ce que c’est le dialogue ? Pourquoi le dialogue au sein de la communauté ? Comment s’y prendre ? Quels sont les empêchements ? Nous estimons que en répondant à ces questions nous aurons à faire une heureuse aventure à travers le dialogue dans la communauté.
Tout d’abord dégageons le contenu étymologique du mot, pour bien saisir la pointe de notre réflexion, bien que, vous le connaissez déjà. Le dialogue est une communication entre deux ou plusieurs personnes ou groupes de personnes visant à produire un accord. Il doit y avoir au minimum un émetteur et un récepteur. Une donnée émise, c’est le message. Un code, c’est la langue et /ou le jargon. Un objectif, c’est le but du message. Il se fait par signaux soit auditif soit visuels. L’origine étymologique grecque du mot se réfère à un concept traduisible par «suivre une pensée » (dialogos : de dia = à travers et logos = la parole), ce qui n’explique pas la façon de la comprendre, à moins que pour vouloir prendre connaissance de l’esprit de l’autre il suffise de suivre pour saisir. Ensuite, dans nos recherches pour comprendre ce que c’est le dialogue nous avons découvert Martin Buber, un philosophe/théologien si vous adhérez à cela, qui dans sa pensée théologique consigne une place prépondérante au dialogue. Dans son livre L’AUTRE COMME SOI, il jongle le dialogue non comme un essai pour atteindre des conclusions ou exprimer des points de vues, mais il l’emploie comme une condition sine qua non pour établir une vraie relation entre l’homme et ses semblables et entre l’homme et Dieu. Enfin, le concile Vatican II a, lui aussi, mis l’accent sur l’importance et nécessité du dialogue, dans le sens de dialogue avec le monde. C’est ainsi que cinq documents issues de ce Concile œcuménique traitent de la question du dialogue, nous vous rappelons ici : Nostra Aetate, Unitatis Redintegratio, Gaudium et Spes et Dignitatis humanae. Dans cette perspective du dialogue comme une des voies par laquelle l’Eglise accomplit sa mission, en 1964 Paul VI écrivait Ecclesiam Suam, où il relevait les caractéristiques du dialogue : 1. la clarté (transmission de pensée), 2. la douceur (le dialogue n’est pas orgueilleux ; il n’est pas piquant ; il n’est pas offensant), 3. la confiance (tant dans la vertu de sa propre parole que dans la capacité d’accueil de l’interlocuteur), 4. la prudence pédagogique (cherche à connaitre la sensibilité de l’autre et à se modifier). Et il soulignait que dans le dialogue ainsi conduit se réalise l’union de la vérité et de la charité, de l’intelligence et de l’amour (cf. ES n°3.7). En somme, le dialogue est cette capacité indispensable à tout homme de passer d’une proximité physique à la proximité relationnelle, visant l’amélioration des rapports dans la société et/ou communauté. Alors, demandons-nous pourquoi devons nous dialoguer ?
Tout d’abord nous savons de par notre expérience que ‘la vie communautaire est la révélation bien pénible des limites, des faiblesses et des ténèbres de mon être ; elle est la révélation souvent inattendue des monstres cachés en moi. Or, cette révélation est difficile à assumer. Très vite on cherche à écarter ces monstres, ou à les recacher, à prétendre qu’ils n’existent pas ; ou on fuit la vie communautaire et la relation avec les autres. Ou encore on les accuse, eux et les montres qui sont en eux’ (cf. Jean Vannier). Mais si nous acceptons que ces monstres coexistent en nous nous pourrons les dompter ; et seul le dialogue peut nous aider à y arriver. Un dialogue peut être à la fois thérapeutique parce qu’il guérit nos blessures, pédagogique parce qu’il éclaire nos intelligences et psychologique parce qu’il chasse la peur et les complexes. Malgré cela, nous admettons qu’il faudra toujours une posture pour faire face aux défis que cet exercice nous apporte.
Nous estimons que la question relative aux défis du dialogue relève de sa nature même. Le dialogue nous met face à l’autre, et en tenant compte de ce que nous percevons dans et par la communauté, c’est dire la qualité de nos rapports et apports, nous découvrons (si nous sommes assez perspicaces et avons la volonté de nous laisser interpeller par les expériences faites) que les défis peuvent être liés au caractère personnel, à la culture, à l’attitude, à l’environnement et à la circonstance. Eu égard ces supposés défis, nous serons alors à mesure de discerner ce qu’est le dialogue de ce que ne l’est pas. De ce fait, le dialogue ne sera pas un jugement, une concurrence, ou une prise des décisions, mais il sera un moment de compréhension et d’apprentissage. Il nous dévoilera les stéréotypes, nous aidera à bâtir la confiance et nous rendra capables d’être ouverts à d’autres perspectives qui seront toujours différentes des nôtres. Ainsi, nous serons à la hauteur de surmonter les obstacles qui empêchent au climat de dialogue dans la communauté. Néanmoins, le dialogue, nous l’admettons, est un procès délicat. Nous constatons actuellement que plusieurs obstacles inhibent le dialogue au débours de la communication sous forme de confrontation tel que la discussion et le débat (politique, académique, religieux). Toutefois, les obstacles les plus communs comprennent la peur, l’exhibition ou exercice du pouvoir (argument d’autorité), la méfiance, les influences externes, les distractions et des conditions de communication déficientes et déficitaires.
En guise de conclusion, nous soulignons qu’une forme disciplinée de dialogue, dans une communauté où nous sommes unis autour d’un même idéal, d’une même Personne nous habilite à résoudre paisiblement les complexes problèmes que nous avons en commun. Ainsi donc, le dialogue fraternel aura un sens pour chacun de nous ; il sera un pont que nous mène au confrère et à Dieu. Alors, le Christ l’a clairement demandé qu’il y ait entre nous ce genre de dialogue dans Mt 18,15 : «si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais lui tes reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère » et il a ajouté en Jn20, 23 : «ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». Le dialogue est donc au cœur de l’amitié chrétienne comme l’appel à la liberté de l’autre. En effet, le dialogue pour un chrétien, ce n’est pas une sorte d’attachement à l’ordre ou à la loi qui le fait intervenir, c’est le respect de l’autre et la conviction que, plus on est proche de Dieu, plus on est soit même. De ce fait enfin, nous ne dirons point «mea maxima paenitentia Vita communis (cf. St Jean Berchmans) » sinon «mea maxima gratia Vita communis!» car la communauté sera alors le lieu du dialogue, du partage et de la ‘sanctification’ de l’autre et de soi même.
Sc. Zé Alberto Sagras, mccj
Le thème de cette année
J’ai beau lire et relire le thème de cette année, un seul mot retient mon attention entre tous. C’est l’adjectif « responsable ». Il a de la résonnance en moi sous sa forme nominale, sans toutefois m’inspirer quoi que ce soit de précis. C’est peut-être sa nouveauté dans la formulation de nos thèmes, du moins depuis que je suis scolastique, qui focalise mon intérêt. Comme Moïse, à la vue du buisson ardent, j’ai donc décidé de faire un détour pour voir de plus près.
Mon détour a commencé l’internet. Ce que j’y ai découvert, concours avec le Dictionnaire Universalis, pour définir la responsabilité comme étant le devoir de répondre de ses actes, toutes circonstances et conséquences comprises, d'en assumer l'énonciation, l'effectuation, et par suite la réparation voire la sanction lorsque l'obtenu n'est pas l'attendu. Dans notre thème, la responsabilité vise notre communauté. Communément, cette notion s’applique à différents domaines :
· Responsabilité civile (conventionnelle ou quasi-délictuelle) : obligation de réparer les dommages que l’on a causés à autrui, de son propre fait ou de celui des personnes, d’animaux, de choses dont on est responsable
· Responsabilité pénale (ou délictuelle) : obligation de subir la peine prévue pour l’infraction dont on est l’auteur ou le complice
· Responsabilité morale qui consiste en une capacité pour un sujet volontaire et conscient de prendre une décision sans en référer au préalable à une autorité supérieure, à pouvoir donner les motifs de ses actes, et à être jugé sur eux.
· Responsabilité politique, en particulier du gouvernement devant le parlement (motion de censure ou question de confiance) ou des élus devant leurs électeurs (maires, Président de la République)…
· Responsabilité ministérielle, désigne la redevabilité du gouvernement envers les élus dans plusieurs pays de monarchie constitutionnelle. Dans un régime parlementaire, c’est l’obligation faite à l’ensemble des ministres, au gouvernement, de démissionner quand le parlement lui retire sa confiance
Quitte à celui qui est curieux de saisir plus en profondeur ces différents domaines de visiter comme moi cette adresse :
Moi, mon appétit d’étudiant en théologie et de religieux a conduit mon détour par le Vocabulaire de Théologie biblique. La notion y est abordée dans le sens de la responsabilité de l’homme face à Dieu en lien avec les questions de la liberté humaine, du péché et du mal dans le monde. Le récit du péché d’Adam (Gn 2-3), est fait pour répondre à signifier, désigner le responsable de la dureté de la vie, de la mort ? Contrairement aux grandes religions qui entouraient Israël, pour qui Humains et dieux sont à la fois et irresponsables du mal, celui-ci étant aussi ancien que le monde et les dieux, la Bible pose un mal postérieur à la création et fait reposer la responsabilité du mal sur les libertés créées. Toutefois, la Bible suggère à travers l’image du tentateur (Satan) que l’homme ne porte ni entièrement ni totalement la responsabilité du mal. Grâce, à la Loi, Dieu a formé Israël au sens de la responsabilité en affinant sa conscience et en lui signifiant que chaque choix, dépendant de son orientation vers le bien ou le mal, est un choix pour ou contre Dieu (Dt 4, 6 ; 30,…). Dans ce sens, chaque malheur ou catastrophe nationale, déjà présent ou prévisible est l’occasion pour les prophètes, d’un regard aigu sur les responsabilités du peuple. C’est ainsi que Ezéchiel vit dans l’exil, le désastre suprême, la conséquence de l’irresponsabilité d’Israël. A chacun de prendre ses responsabilités, de choisir entre la vie et la mort (Ez 18, 20).
Dieu exige réparation pour nos péchés, et bien souvent ne nous prive pas des peines temporelles, conséquences de nos irresponsabilités. Toutefois, l’eventus christus, toute la vie de Jésus et son enseignement, achevé dans la passion nous montre que Dieu ne nous charge pas entièrement de nos fautes. Car « Le salaire du péché c’est la mort » ; cela, Dieu ne le veut pas. Aussi a-t-il permis que son Fils unique meure pour la multitude en rémission des péchés. La miséricorde est avec l’œuvre de la création, l’expression la plus merveilleuse de la toute-puissance de Dieu. Il épargne les pécheurs pour leur laisser le temps de la conversion ; il les reprend, les avertit pour leur faire prendre conscience de leur faute et les amener à se détourner du mal.
Je suis au pied du buisson ardent et je m’incline jusqu’à terre devant la réalité. La responsabilité suppose la conscience claire de ses devoirs et la volonté de les remplir. Plus que cela, il s’agit de prendre l’élan de l’aveugle de naissance courant vers le sauveur afin de trouver la vue. Cet élan n’est pas autre que celui auquel nous appel tous les prophètes jusqu’au précurseur Jean Baptiste, puis Jésus lui-même : « convertissez-vous et croyez en la Bonne nouvelle ». Oui ! Être responsable, c’est reconnaître qu’on a encore du chemin à parcourir ; un chemin qui nous mène, des résultats imparfaits aujourd’hui obtenus, quelques fois bons, mais loin de la plénitude, vers les résultats attendus. Cette exigence concerne sans aucune exception chacun de nos devoirs, tâches, activités, aussi bien spirituels, communautaires, scolaires, que missionnaires et comboniens. C’est un appel d’aujourd’hui et de demain. Il nous demande, nous membre de cette communauté du scolasticat bienheureux Isidore Bakanja de rester ouverts à la science, à la connaissance et à la vérité. Plus encore, il constitue pour nous le devoir de nous corriger certes lentement mais surement et continuellement suivant la Révélation de Dieu notre Père, portée à sa plénitude par son Fils unique Jésus Christ, en lui et avec lui, toujours actualisée par l’Esprit dans le cœur de ceux qui lui sont soumis et les enseignements de l’Eglise, image parfaite de la Sainte Vierge Marie notre Mère.
Sc Boris KETEMEPI
Victimes de péché structurel
Une nuit, celle du 04 au 05 décembre 2010 ; une circonstance, une fête d’accueil des nouveaux ; un élément modificateur, complication du transport puis embuscade. Des coups de feux s’en suivirent et l’événement fatidique, le décès de EKLOU Comlan Nicolas.
Voilà l’événement qui marqua de manière assez forte la vie de l’Eglise de Kinshasa au moment même où elle était encore dans la fièvre de l’accueil de son prélat qui venait de recevoir la pourpre cardinalice.
Rétablir les faits n’est certes pas de notre ressort. Tout compte fait, à l’instar de nombre de personnes qui s’indignèrent après vives émotions à cette nouvelle, nous nous interrogeons. Mais qui nous répondra ? Les acteurs eux-mêmes sauraient mieux nous informer.
Nicolas lui-même, certes sans regretter son état actuel, celui de la béatitude, ne se gardera pas de nous manifester sa surprise en ce qui concerne les circonstances. Tout s’est passé si vite et de manière inattendue ; un inconnu qui, pour des raisons que lui-même n’arrive jusque là à ne pas cerner, lui a tiré là-dessus.
L’inconnu, un individu en uniforme, à son tour, ne peut nous évoquer de raisons assez fondées. Il ne sait pas non plus pour quelles raisons précises cela est arrivé. Son attitude n’est que le reflet de son besoin de subvenir à ses besoins. Salaire minime et quasi inexistant, ces genres de forcing deviennent un gagne pain. ‘‘Ventre affamé n’a point d’oreilles !’’ dit-on, et sans oreilles mais avec de la drogue, aura-t-il des yeux et du cœur ? Et puis, à défaut de savoir tenir la houe ou de pouvoir le faire, il n’a comme instrument de travail que cette kalachnikov qui, malheureusement, a la possibilité d’être chargé et utilisé, sans en attendre l’ordre d’un supérieur hiérarchique. Guidé par la faim et le dénuement, avec un peu de drogue, et ainsi équipé, il ne pouvait pas savoir qu’il devenait assassin ; et, même s’il le savait, il le fallait car, rien à faire… il faut survivre !
Que voulez-vous ? S’il y avait pour Nicolas et les siens un retour assuré, un transport facile cela ne serait certainement pas arrivé. Pas de voitures puisque pas de routes ; et puis, s’il y a de routes, on ne peu pas y attribuer ce nom car il s’agit bien d’un genre de tunnel qui favorise bien toutes les insécurités du monde. Et, cette situation, si elle perdure depuis bientôt quatre ans, y remédier n’est pas prioritaire dans un pays où, même au lendemain des fêtes de cinquantenaire des indépendances, tout est prioritaire, surtout ce qui profite en premier lieu à ceux qui en sont le gage de l’accomplissement.
Le cas Nicolas n’est pas l’unique, moins encore le premier. Il ne sera certes pas le dernier.
Tous, nous sommes responsables de ces vies perdues. Si des gens en manque de conscience ne savent pas ce en quoi consiste leur responsabilité en ce qui concerne le bien être, la vie, la sécurité de ceux dont ils ont pris la charge devant Dieu, les mannes des ancêtres et les hommes, il est de ressort de ceux qui, mieux éclairés par la foi et la raison, sont censés voir plus clairs, d’éclairer, de conscientiser et de dénoncer. Le silence et les attitudes d’indifférence, de démission ou de complaisance nous condamnent et font de nous des assassins par complicité.
Nicolas et tant d’autres, morts dans des circonstances bien diverses, sont victimes des péchés structurels dont, depuis la colonisation à nos jours, tous, nous sommes coupables.
C’est misérable ! Et face à cela, je ne pus me tourner que vers Celui qui est au-delà de tous et de tout. Comme le paralytique de Betseda (cf. Jn 5, 1-12). Plus que lui, nous sommes dans cet état depuis plus de cinquante ans désormais. A la demande du Christ : « veux-tu guérir ? » nous répondons : « Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine aussitôt que l’eau a été agitée, et avant que j’y aille, un autre est déjà descendu. » Bien plus, il y en a tant qui m’empêchent d’y descendre, me tirant à l’arrière par les pieds. Que je demeure dans telle situation est leur seule désire car mon non relèvement est le gage de leur survie. Jésus lui dit alors : « Lève-toi, prends ton brancard et marche. »…
Debout, nous pouvons nous mettre. Mais, sommes-nous capables de prendre notre brancard, le porter le jour du sabbat ? Serons-nous capables d’obéir et ainsi, choisir d’aller aux fronts, affronter le faux qui s’érige en règle ? Sommes-nous prêts ?
Sc. Alex Canisius
Confiance, tu étais là !
Heureux de ta présence, confiance !
Dans ce rêve monologue
Mais rempli d’espérance
Qui demain devint dialogue.
Heureux de ta présence, confiance !
Guidant ce dialogue dans l’ouverture
Pour vaincre toute méfiance
Au début d’une heureuse aventure.
Heureux de ta présence, confiance !
Tu fis corps avec cette parole
Dont tu fus le porte-parole
Et qui se dit par une alliance.
Heureux de ta présence, confiance !
Dans cette école de l’amour
Où riment amour avec humour
Malgré les moments des oubliances
Heureux de ta présence, confiance !
Au matin de ma naissance
Tu m’accueillais dans tes mélodies sonores
Comme le jour, l’aurore.
Heureux de ta présence, confiance !
Lors des premiers appels à la responsabilité
Qui conduit à la maturité
En détournant des déviances.
Heureux de ta présence, confiance !
Sur ce chemin de la vie
Qui mène à la fête où tu convies
Les hommes de toute provenance.
Sc. Anatole MUGHENDI