Réflexions


« LES VŒUX, UNE THERAPIE POUR LE MONDE »

Amadou Hampate Ba, Ie  grand défenseur de la tradition orale africaine, né au Mali en 1901, décédé iI y a quelques années, disait : « Merci est un mot bien simple. Mais iI ne sort de la bouche que sous I’ effet d'un acte qui inspire de la gratitude.» Je paraphrase ce sage africain d'heureuse mémoire, pour dire Ie même mot.
Partant de la définition des concepts des, nous tacherons de parcourir les vœux, un après I’ autre, en essayant dans la mesure du possible de montrer comment par le Christ, notre modèle, les voeux peuvent être pour nous-mêmes et pour Ie monde vers lequel nous sommes envoyés, une sorte de réponse parmi tant d'autres, aux multiples souffrances de I'homme.
Le sifflet d'arbitrage condusif pourra retenir enfin, aux sons de quelques considérations pratiques de nature à provoquer des échanges, à susciter Ie débat, à enrichir Ie thème et à encourager la poursuite de la réflexion.


Pour mieux saisir un sujet quelconque, et Ie faire comprendre aux autres, iI est toujours avantageux de bien Ie définir d'abord et de bien Ie situer ensuite, dans un contexte détermine. Cela dit, je m'en vais définir les concepts ci-dessous.
A en croire Ie dictionnaire Micro Robert, Ie substantif voeu recouvre plusieurs significations.
II se dit de la promesse faite à Dieu i un engagement religieux contenant la pauvreté, la chasteté et I’ obéissance. Dans Ie milieu religieux qui est Ie notre, on parle: « Des conseils évangéliques. »
I se dit aussi de I’ engagement pris envers soi-même, une résolution. Par exemple faire Ie voeu de ne plus revoir quelqu'un.
II se dit aussi d'un souhait, que s'accomplisse quelque chose. On dira par exemple, formuler des voeux pour la sante de quelqu'un i souhaits adresses à quelqu'un : mes voeux de bonne année.
Loin de nous étendre sur toutes ces significations, nous voulons, dans Ie cadre de cette communication, nous limiter au premier sens : voeu comme promesse faite à Dieu d'observer, de pratiquer les conseils évangéliques, de pauvreté, chasteté et obéissance.
Et, dans Ie souci d'être plus concret et plus explicite, iI est dit dans la régie de vie des comboniens, au numéro 94 ce qui suit: « Le novice devient membre de I'lnstitut par la consécration à Dieu pour Ie service missionnaire moyennant la profession des voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance. »
J'insiste ici sur I'observance et, la pratique, qui nous seront d'un grand apport dans la compréhension de notre thème. Comment les vreux que nous prononçons peuvent-ils être une thérapie pour Ie monde ? Ou mieux encore, dans quelle mesure les conseils évangéliques cites ci-dessus, peuvent-ils être une guérison pour Ie monde ?


En médecine, comme en psychologie, ce concept se dit du traitement: élément signifiant « Soin, cure ». On entend dire par exemple: ce malade a été soumis à une thérapie de trois mois. Ce psychotique nécessite d'une thérapie de très longue durée, etc.
Une fois de plus, loin de nous étendre de façon approfondie sur Ie sens médical, nous préférons limiter ce concept au cours de cet échange et Ie comprendre comme soin, comme une des solutions proposées. Ce qui nous entrainerait plus, au sens psychologique du terme. Car, la pratique des VOEUX ou vivre ses VOEUX signifie adopter un comportement. Et ici, comprenons-Ie bien, Ie comportement du religieux ne se réfère pas au modèle médical, entendu comme symptôme, cause, traitement, mais iI se réfère a un modèle qui inclut non seulement I'activité motrice, mais aussi toutes les déterminations émotionnelles, cognitives, relationnelles et surtout spirituelles. Ainsi on se poserait par exemple cette question pertinente. Comment la pratique de nos VOEUX peut-elle influencer les comportements des autres? (Les autres entendus comme monde) Autrement dit, Ie témoignage vécu de nos VOEUX peut-il servir de thérapie comportementale pour ceux vers qui nous sommes envoyés et qui se trouveraient dans Ie besoin de changer de comportement?
Ce concept renferme lui aussi plusieurs sens : Monde comme ensemble de tout ce qui existe; la terre ou habite les hommes; groupement humain détermine, on dira par exemple: Ie monde du spectacle, Ie monde des affaires, Ie monde du show biz, Ie monde des religieux, etc.
II se dit aussi d'un grand nombre ou nombre indéfini de personnes, exemple ces jours-ci iI y a toujours du monde dans les rues de Tunis. Les manifestations en Egypte continuent a drainer du monde dans les rues du Caire.
Au sens religieux, et c'est celui-ci qui nous intéresse, on parle du monde en comparaison avec celui que I'on quitte pour se consacrer à


Dieu. Celui vers lequel on est envoyé pour accomplir une mission déterminée.
Par nos vœux, nous sommes des envoyés au monde. On est témoins du message évangélique dans Ie monde. La constitution 94 citée ci-dessus fait implicitement allusion a ce monde lorsqu'elle stipule:« Le novice devient membre de I'lnstitut par la consécration a Dieu pour Ie service missionnaire » Ce service missionnaire c'est celui qui s'exerce dans Ie monde et pour Ie monde. Les voeux sont émis individuellement mais pour Ie service des autres, Ie service missionnaire, Ie service dans Ie monde et pour Ie monde.
Au cours d'une mémorable conférence aux facultés catholiques de Kinshasa, sur la théologie africaine, I' Abbe NGINDU MUSHIETE soutenait ce qui suit: « Le Christ n'est pas venu en ce monde pour faire des discours ou dicter un livre qu'on aurait enregistre sténographiquement. II est venu chez nous pour fonder une vie. Et I’ expérience humaine et africaine constitue Ie lieu privilégie a partir duquel Ie Christ peut être rencontre et reconnu par les africains. »
Me situant justement dans cette ligne d'idées, je comprends parfaitement I'engagement de nombreux africains et de tant d'autres personnes non africains à vouloir perpétuer cette vie que Ie Christ est venu fonder. Je peux aussi affirmer qu'il serait difficile de me contredire lorsque je certifie que la voie des conseils évangéliques fait sans aucun doute partie de ces pierres de fondation de cette vie. Et voyons comment, en partant du Christ Lui-même, Modèle.
Loin de m'étendre sur tous les religieux, je voudrais plus focaliser I’ attention aux religieux d'origine africaine, lesquels constituent Ie cas échéant, la majorité des membres de cette communauté. Toutefois, que les autres ne se sentent pas exclus mais, concernes tout autant.
Les vœux en général, telles que l'Eglise les enseigne, constituent des réalités qui vont dans Ie sens contraire aux énergies affectives fondamentales de I'homme. On constate qu'au fit des années, leur


Observance se réduit presque à une pratique de complaisance, qui, à la longue fatigue, si elles ne sont pas portées par une conviction solide et profonde sur la réalité de la personne de Jésus- Christ. Le vrai problème qui se pose est la recherche d'une intelligence de I’ intention ou de la visée fondamentale de la vie religieuse. Des questions se posent. De quoi s'agit-i1 quand on devient religieux? Quel est Ie sens de ce choix? Cette visée, je I’ espère, ne s'obtient que par un renouveau spirituel, un approfondissement spirituel de notre adhésion à la personne du Christ, pour nous exprimer comme Saint Paul: « Je sais en qui j'ai mis ma foi. » (2 Tm 1,12)
Très souvent chez nous, religieux africains, quand on parle de la pauvreté, on pense ipso facto aux biens matériels. On se préoccupe de la situation matérielle de sa famille biologique, etc. Pour en avoir Ie cœur net, Ie Père Mick Ngundu, (1996, p.33) écrit: « Dans les circonstances actuelles, beaucoup de religieux africains ont la préoccupation de la situation matérielle fort précaire dans laquelle se trouvent leurs parents. En effet, la condition personnelle qui fait du religieux ou de la religieuse un privilégié sous un certain rapport et qui impose a ses parents une privation réelle pourrait aboutir a lui donner mauvaise conscience. »
Force est de constater que la pauvreté évangélique déborde Ie cadre de biens matériels. Elle est avant tout un esprit qui englobe et pénètre toute la vie de manière à susciter une attitude de liberté totale par rapport à tout.
Cela dit, Ie vreu de pauvreté ne peut servir de « Thérapie » (Je Ie mets entre guillemets parce que je vous I'ai déjà explique ci-dessus) que dans la mesure où Ie religieux, c'est-a-dire celui qui Ie vit, celui qui Ie pratique, s'efforce de Ie vivre à la manière du Christ, Libre de tout. Et voici comment.
A.   Vis-à-vis de la réputation
Le Christ ne se préoccupe pas de ce que les hommes pensent ou disent de lui. II se montre indifférent aux critiques des hommes ; des critiques qui seraient de nature à Ie détourner du service du Seigneur. II va manger et boire avec les pécheurs (Lc. 5,29-32); iI avait même la


réputation d'être un glouton, un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs (Lc. 7,34-38). Cela ne I’ empêche pas d'aller loger chez un pécheur Zachée (Lc. 19,7).
S’il y a un bien auquel nous tenons tous, et pour lequel nous sommes jaloux a « mourir », c'est bien notre réputation, notre dignité personnelle. C'est la raison pour laquelle la psychologie nous apprend que I’ échec porte atteinte a la dignité, a la réputation individuelle, a la valeur de I'individu, a son prestige. Voila pourquoi I'homme fait toujours de son mieux pour ne point échouer. II fera tout, n'importe quoi pour sauvegarder son prestige: tous les moyens seront bons. II lui faut sauver sa face, se convaincre lui-même et convaincre les autres qu'il n'a pas été battu. Soit ! Mais qu'en est-il du modèle que Ie Christ propose?
La réputation basée sur ce modèle du Christ, que Ie religieux s'efforce de conquérir et qui bien souvent interpelle Ie monde, est celui par exemple de ce religieux a qui on jette des fleurs par ses attitudes, par ses gestes, par ses comportements. (‘Est celui par exemple que Ie chrétien regrette lorsqu'il est appelé à les quitter pour un autre milieu que Ie leur. Le mauvais est souvent compare au bon. Et facilement on entend des déclarations du genre:« Celui-ci ne fait pas comme celui-là.» Un réel jugement de valeur en effet
Lorsque la réputation d'un religieux attire les âmes à Dieu, I'on est en droit de penser pourquoi pas, à un « Témoignage-thérapie », si vous me permettez I'expression, à une solution, a une proposition, que I'on donne à ceux vers qui on est envoie. Là-dessus, Ie Père Matungulu (1988, p.26) nous rejoint lorsqu'il écrit ce qui suit:« Les gens du monde sont des observateurs expérimentés du monde des religieux; même les plus infimes détails ne leur échappent pas quand iI s'agit de critiquer leurs prêtres, religieux et religieuses ; certains trouvent même un plaisir malin ales juger, a les passer impitoyablement au crible de la critique. Ainsi les purifient-t-il, malgré eux, comme I'or qu'on passe au feu du creuset. Les gens du monde ne sont pas dupes, même s'ils se trompent parfois dans leurs appréciations sur la manière dont les religieux africains vivent leurs vreux. Ils savent très souvent discerner Ie religieux fidele à sa consécration au Seigneur, du religieux qui commence a flancher. »


Jésus se montre libre par rapport aux membres de sa famille. II abandonne son père et sa mère pour s'occuper des affaires de son Père dans Ie Temple (Lc. 2,48-50) A ceux qui veulent Ie suivre iI dit : « Celui qui aime son père, sa mère, sa sœur, ses frères plus que moi n'est pas digne de moi. » (Mt. 10,37) Pour Lui, en effet, les liens spirituels sont supérieurs aux liens familiaux. Sa Mère et ses frères sont ceux qui font la volonté de son Père qui est aux cieux.
Face a ce modèle que Ie Christ propose, iI serait avantageux pour une réflexion basée sur Ie voeu de pauvreté comme thérapie, de ne point négliger par exemple cette considération du Père Ngundu Mick (Op.cit., p.37) qui dit: « A propos des responsabilités d'un religieux face a ses parents, je reconnais d'une part que I'on ne devient pas religieux pour s'occuper d'abord de ses parents, mais d'autre part, je sais que personne ne peut entrer en religion pour les oublier. Aucun religieux n'est dispense de ses obligations vis-à-vis du quatrième  commandement du décalogue. » II poursuit en se posant ces questions pertinentes: « Au fait pourquoi Ie religieux doit-il encore aider ses parents? Comment doit-i1 les aider? Doit-il devenir I'incontournable, c'est-a-dire la personne qui devra résoudre toutes les difficultés de sa famille biologique? Autrement dit, Ie religieux doit-i1 faire oublier a I’égard des parents, la responsabilité de tous ses frères et soeurs maries? Si vraiment I'on doit considérer Ie voeu de pauvreté comme thérapie, iI est essentiel de prendre en compte ces inquiétudes.
II n'écoute pas ses amis quand ils ont tort, et I’ amitié ne I’ empêche pas de réprimander ses amis. A Pierre iI dira très sévèrement : « Passe derrière-moi Satan i tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais des hommes. (Mt. 16,21-23) II est même prêt à se séparer de ses amis plutôt que de leur faire plaisir en édulcorant son enseignement. « Voulez-vous partir vous aussi ? Simon Pierre répondit A qui irions-nous Seigneur? Tu as les paroles de la vie éternelle. (In. 6,67)


II n'y est pas soumis quand elles paraissent contraires au service de Dieu et des hommes. Au contraire, iI se comporte comme maitre des coutumes ancestrales. II est tout à fait Libre. Cf. Les épis arraches Ie jour du sabbat (Mt. 12,1-8)
A celui qui lui demande de Ie suivre, Ie Christ ne lui cache pas la vérité. Ce n'est pas Ie confort qu'on doit chercher a la suite du Christ: « Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais Ie Fils de I'homme n'a pas ou reposer la tète. » (Lc.9, 57-61).
La liberté du Christ Modèle, s'étend à tout. Et c'est cela la voie du religieux soucieux de vivre ses voeux comme une thérapie pour Ie monde vers lequel iI est envoyé, et dans lequel iI doit s'épanouir sans cesse. Témoigner Iibrement et sans contrainte de ses voeux dans ce monde qui a encore besoin et soif de Dieu.
Encore une fois, c'est Ie Christ qui se présente comme modèle et les écritures nous Ie confirment surtout:
«II se laisse toucher, baiser, parfumer la tête par une femme de moeurs légères » (Lc. 7,36-50) Cela au grand scandale de tous les convives. " se rend régulièrement chez Marthe et Marie (Luc.10, 38-42) L'Apôtre Jean nous dit même qu'i1 aimait Marthe et Marie (In.11, 5) malgré les soupçons que pareille fréquentation, pareille amitié pouvait lui attirer. "Il n'a pas peur, II ne recule pas devant Ie qu'en dira-t-on ? II se montre sensible aux gestes de cette femme. Jésus la regarde, la laisse utiliser ses armes de séduction: larmes, cheveux, parfum ... mais il ne s'arrête pas la, iI voit en cette femme une pécheresse dotée d'un cœur contrit qui a beaucoup aime.
II s'entretient longuement, seul avec la samaritaine (In. 4,1-42). Les Apôtres n'hésitent pas à manifester leur étonnement de Ie voir causer seul avec une femme. " Ne juge pas non plus la femme adultère comme les pharisiens qui la présentent; au contraire iI la défend contre ces


sépulcres blanchis qui ont vieilli dans Ie pèche et veulent faire la leçon a d'autres. II admire la foi de la cananéenne : II est pris de compassion pour la veuve de Nairn qui a perdu son fils unique.
Que ce soit avec les prostituées, que ce soit avec ses amies, Ie Christ se montre humain, un hornme sensible a la tendresse féminine, simple et naturel, mais sans gène ni compromission, aucun geste déplacé, aucune parole équivoque, toujours préoccupé de I’essentiel. C'est Ie secret même de sa chasteté qui nous est présentée comme idéale.
Pour en avoir Ie cœur net et nous mettre en parfaite connexion avec notre thème, votre régie de vie stipule ce qui suit au n° 26 : « La pratique du vreu de chasteté devient possible et signifiante grâce a notre rapport personnel avec Ie Christ... Le combonien renouvelle son acceptation du don de la chasteté consacrée, spécialement quand il se rencontre avec Ie Seigneur dans la prière; iI prie pour que lui-même et Ie peuple sachent estimer Ie don qu'iI a reçu... Outre Ie témoignage d'une vie authentique de chasteté, Ie missionnaire fait connaitre également et cela fait partie du message chrétien, les motifs de sa consécration. »
Autrement dit, Ie peuple dont iI est question ici, est bel et bien celui vers qui Ie combonien est envoyé. C'est un peuple dans Ie monde a qui, Ie combonien par la pratique de son vreu de chasteté doit être pour ainsi dire « un témoignage -thérapie.» La tentation est souvent grande de penser que ce monde ne concerne que ceux qui nous sont si éloignés. Loin de la ! Car, I'expérience confirme de plus en plus en milieux africains, que même les membres de famille biologique des religieux que nous sommes, veillent avec un soin jaloux sur notre consécration, surtout en ce qui concerne notre vreu de chasteté. Ils ne sont pas indifférents au témoignage sincère de nos vœux. Non seulement ils nous encouragent à aller de I'avant, mais aussi, lis y trouvent un motif de fierté, laquelle nous laisserait penser pourquoi pas a une thérapie au sens d'un témoignage! Ils applaudissent quand i1s apprennent que nous vivons réellement comme des religieux chastes. Pourquoi ne verrait-on pas en cela, une thérapie comportementale basée sur nos voeux en général et celui de chasteté en particulier. En voici d'ailleurs, un cas convaincant !


Encore étudiant en théologie ici même a Saint Eugene de Mazenod, un jeune oblat devenu prêtre depuis une vingtaine d'années déjà, nous confiait ceci, lors d'une intéressante conversation au sujet de I’ influence de nos familiers, de nos proches, sur notre consécration religieuse. II disait : « Je suis de plus en plus convaincu que nos membres de famille se préoccupent au plus haut point de notre fidélité, face à nos engagements religieux, surtout en ce qui concerne notre vreu de chasteté. Je me rappelle toujours, avait-il poursuivi, qu'a I'origine de ma vocation à la vie oblate, j'ai failli perdre confiance de m'engager. Je me souviens parfaitement de la réunion familiale, au cours de laquelle tous les miens se sentaient dans I'obligation de me proposer leur point de vue sur Ie désir de devenir prêtre, que je ne cessais de leur manifester, peu avant la fin de mes humanités littéraires au Petit séminaire. Malgré la liberté de choix que me laissait mon père, je n'oublie cependant pas les refus catégoriques de ma mère d'abord et, de mes 2 soeurs ensuite. En effet, je suis I’ ainé et unique garçon de cette petite famille. Ma mère et mes soeurs voulaient me voir plus tard, un excellent père de nombreux enfants. Bref, leur souci majeur était I'assurance de la pérennité du nom familial, I’elargissement du clan, la progéniture. Lorsque j'ai partage Ie même envie de devenir prêtre a quatre de mes amis intimes, j'ai reçu de I’ un d'eux, une longue lettre que j'ai toujours gardée, et qui se terminait en ces termes : « Mon cher et intime ami, n'y vas pas je te supplie. Ne fais pas I’ idiot. Ne passes pas à cote de la vie. Elle n'a point de brouillon. N'oublies surtout pas, je Ie répète, n'oublies surtout pas que nous sommes des africains et que tu es I’ ainé et unique garçon, d'une toute petite famille de 3 enfants seulement. N'oses pas te faire soupçonne bêtement d'impuissant au fil de tes jours, mais contente-toi de ta virilité que j'envie d'ailleurs, pour avoir entendu les déclarations combien élogieuses et satisfaisantes de tes nombreuses copines. Une fois, prêtre, c'est fini ! Ces gens-la, non seulement iI leur est strictement interdit de se marier, mais aussi ils ne doivent jamais, ne serait-ce toucher à un seul cheveu de la femme. Malheur s'en suit immédiatement lorsqu'on désobéit. C'est folie! N'y vas pas. Toutes ces pressions et résistances qui me venaient de mes proches, de mes relations privilégiées, m'ont fait perdre confiance sur Ie style de vie auquel je tenais mordicus. Une incertitude nette, une surprise effarée et une


pitié douloureuse m'envahissaient comme si j'entrais dans la plus loufoque des sectes. »
Loin de contredire tous les auteurs de ces pressions sur notre pauvre oblat, Ie Père Matungulu leur donne raison en disant : « Pour nous autres, peuples d’Afrique noire, Ie fait de ne pas avoir une progéniture est une grande humiliation, un malheur que ni la richesse matérielle, ni les qualités morales ne peuvent compenser. »
Un proverbe dit: « Le chiens aboient, la caravane passe.» L'explication est simple: qui est certain de sa voie ne s'en laisse pas détourner par la désapprobation la plus bruyante. Croyez-moi, mes frères ! Aujourd’hui, notre jeune oblat est un prêtre heureux de la vie qu'iI mène désormais. C'est un homme réalise dans sa consécration.
Ce récit concorde bien avec notre thème, lorsque Ie héros livre à la fin, cette déclaration: « Quand aujourd'hui, je reconsidère les refus de ma mère, de mes soeurs et de cet ami intime, face à mon désir de devenir religieux prêtre, je me dis : Tant mieux ! Ils me voulaient du bien à leur façon. Car, comme Ie souligne Ie Cardinal Malula (1976, p.55) : « La vie religieuse en terre africaine est certainement une nouveauté. Ce qui en elle étonne les africains, c'est Ie fait que des jeunes africains (nes) en arrivent à refuser de se marier pour des motifs religieux. Cela, certes ! Va a I'encontre de la mentalité d'un peuple qui, pour des raisons qui lui sont propres, a appris pendant de longues années à absolutiser la valeur matrimoniale de procréation des enfants. » Toutefois, je voudrais exprimer hautement ma joie de constater que si autrefois, ma mère, mes soeurs et mon ami s'opposaient a ma vocation de religieux prêtre, aujourd'hui, plaise au ciel, ils sont les personnes de ma famille et parmi tant d'autres de mes proches qui veuillent avec un soin jaloux sur ma fidélité a mon engagement. Ma fidélité là-dessus les préoccupe. Je ne suis plus surpris du tout, de les entendre me chuchoter à I’ oreille : « Nous n'aimerions jamais apprendre un jour que tu es de ces consacres infidèles dont on reconnait la paternité biologique de tel ou tel gosse. Nous n'aimerions jamais apprendre un jour que tu es I'un de ces religieux infidèles, qui compromettent la sainteté des religieux par des comportements maladroits, du genre à draguer les filles et les femmes qui


leur sont confiées.» Curieusement, ce qu'i1s désiraient de moi hier, m'est strictement interdit aujourd'hui par eux-mêmes.
Pourquoi cette volte face, si ce n'est pour eux qui sont dans Ie monde, Ie fait d'avoir compris que la pratique effective de nos vreux est désormais une valeur autant que la procréation des enfants par exemple.
Comprendre et vivre son vreu de chasteté comme « Témoignage » n'est rien d'autre qu'une thérapie pour Ie monde, c'est faire acception de personne comme nous Ie montre Jésus-Christ, par son ouverture, son accueil, sa solitude priante, source de joie et de paix pour Ie monde. C'est en d'autres termes, prêcher par I'exemple. Votre régie de vie ne nous contredit pas lorsqu'elle propose au n° 25 ce qui suit: « En vivant Ie don de la chasteté consacrée Ie combonien répond à I’ amour du Christ qui Ie conduit à une grande Iiberté intérieure et Ie rend capable de se donner plus généreusement au service du Royaume {monde)... ce vreu demande au missionnaire un don total de lui-même aux personnes qu'il évangélise ... La vie de chasteté développe une nouvelle ouverture a I'égard de tous et devient une source particulière de fécondité spirituelle dans Ie monde. »
Sans nul doute, Ie Christ reste pour Ie religieux, un modèle dans la pratique de I’ obéissance. Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement Ie rang qui I’ égalait à Dieu. Mais iI s'est anéantit lui-même, prenant la condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, iI s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix. (Ph 2,5-8)
L'accomplissement de la volonté de son Père est comme quelque chose d'absolument indispensable; c'est comme sa nourriture: « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre » (Jn 4,31-38).
Quand, comme religieux on obéit aux fins de son Institut, on porte au monde dans lequel on vit, un témoignage d'amour du Christ. C'est en cela que Ie vreu d'obéissance est aux yeux du monde un signe, une interpellation, capable d'attirer les âmes à Dieu.


Au moment de conduire cette modeste communication, iI convient de rappeler ce à quoi no us avons fait allusion tout au début. Tout comportement n'est pas un symptôme et vice versa. La notion de comportement tel que nous I’ avons aborde ici, ne se réfère pas au modèle médical, mais a un modèle qui inclut toutes les déterminations émotionnelles, cognitives, rationnelles et surtout spirituelles. Car, la pratique des conseils évangéliques va de pair avec la vie spirituelle. C'est sous cet angle que nous avons essaye de comprendre les vreux, vécus par des religieux, à I'exemple du Christ Modèle, comme des stimuli qui déclenchent chez ceux vers qui ils sont envoyés des comportements.
Ce sont en effet, des comportements de type à témoigner d'un style de vie ne laissant pas indifférents les religieux eux-mêmes d'abord, et Ie monde ensuite. En parcourant les vreux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, iI a été clair que la pratique des vreux, essentiellement basée sur Ie modèle du Christ, peut modifier les comportements des témoins de cette pratique, entendu les gens du monde.
Partant de toutes ces considérations Iiées à la pratique des VOEUX, et face a ce monde qui est Ie notre aujourd'hui, lequel est en perpétuelle mutation dans tous les domaines de son activité, la vie religieuse s'adapte-t-elle vraiment à ces changements sans perdre son originalité ? Ou bien, ne se contente-t-elle pas seulement à une pratique de complaisance qui a la longue fatigue? Devant la misère, parfois noire de nos familiers biologiques, notre vœu de pauvreté ne parait-il pas en réalité comme une contradiction aux yeux de ceux qui nous voient et disent que no us habitons des maisons luxueuses, que nous avons plus qu'eux, trois repas par jour, que nos soins de sante sont urgemment administres, que nos déplacements sont régulièrement assures, que nos études ne souffrent d'aucunes entraves, etc. ?
Quelle réponse donnez-vous lorsqu'on considère parfois votre entrée dans la vie religieuse, seulement comme recherche d'un statut social meilleur, d'une promotion sociale n'ayant en soi aucune réelle motivation adéquate et vraie ?


Toujours face à ce monde vers lequel nous sommes envoyés pour témoigner de nos vreux, monde aux multiples visages, monde ou Ie' sexe est même objet de commerce juteux, monde ou l'Eglise est actuellement victime des accusations d'abus d'ordre sexuel (homosexualité, pédophilie, ephebophilie) de la part de ses nombreux ministres, quel pourrait être selon vous, jeunes religieux Comboniens, Ie degré de crédibilité de votre voeu de chasteté face à ce monde: un degré médiocre, moyen ou appréciable? Justifiez votre réponse. En ce monde envahi par les sollicitations sexuelles de toutes sortes: pornographie, masturbation, prostitution, exhibition de dames sexuelles, comment vous sentez-vous dans votre voeu de chasteté ? En que lies circonstances la pratique de vos vreux modifie-t-elle positivement les comportements de ceux qui vous entourent ? Quelles sont vos réelles difficultés dans la pratique effective de vos vreux ? Avez-vous souvent Ie courage de vous ouvrir aux plus expérimentés tels les directeurs spirituels, de vous ouvrir aux spécialistes tels les psychologues pour solliciter de I'aide? Sollicitez-vous cette aide régulièrement? Pourquoi ne sollicitez-vous pas cette aide?
Tout en vous remerciant, de votre accueil et de I'attention que vous avez bien voulu accorder à ma communication, je vous prie de m'excuser pour mes lacunes et pour mes limitations qui n'ont-peut être pas assouvi votre soif sur ce sujet. Toutefois, que les considérations relevées et questions posées nous aident tous, à poursuivre la réflexion en vue de nous aider à être de plus en plus, à la hauteur de ce que Dieu et Ie monde attendent de nous comme religieux, vraiment pauvres, chastes et obéissants à la manière du Christ. Je vous remercie.
 P. Cyrille O.M.I.





COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES EN AFRIQUE :
 
LE DÉFI DE LA FIDÉLITÉ


Interview à Emilio Grasso


Don Emilio Grasso est le Fondateur de la Communauté Redemptor Hominis, une jeune réalité ecclésiale fondée à Rome à la fin des années ‘60 (présente au Cameroun).
Dans cette interview, il passe clairement en revue les grands piliers de la vie consacrée. Il ne craint ni à désigner les fragilités des communautés religieuses, ni même à identifier les menaces provenant des cultures et des traditions africaines. Il en ressort un discours large, riche, exprimé avec réalisme, s’inscrivant en faux contre certains slogans courants qui sont souvent le fruit d’un léger optimisme. Un discours qui, toutefois, dans sa conclusion, devient « prophétique » quant à l’apport authentique que la vie consacrée en Afrique pourra offrir à l’Église, « si elle n’a pas peur d’être fidèle à elle-même ».



1.         VOCATIONS ET IDENTITÉ

1.       En considérant la vie religieuse en Afrique dans une perspective générale, quels éléments semblent mieux la caractériser en ce moment ?
Pour mieux cerner cette question, il convient de partir de l’affirmation selon laquelle la vie religieuse est d’abord « lieu de radicalité », suite du Christ au maximum d’urgence, à l’intérieur de la vie chrétienne. Avant de s’interroger sur la vie religieuse en Afrique, nous devrions d’abord nous interroger au sujet de la vie chrétienne et de la vie ecclésiale dans ce continent. Le choix de la vie consacrée mûrit au sein de l’Église et ne peut qu’en refléter les espérances, les difficultés, les points-forts et les faiblesses. Ceci ne signifie pas que la vie religieuse ne doive pas être promue dès le début de la plantatio Ecclesiæ, dans ses diverses formes, comme le rappelle justement le document conciliaire Ad gentes, lorsqu’il affirme qu’il appartient à la vie consacrée de manifester et d’exprimer plus clairement, au sein de l’Église, la nature profonde de la vie chrétienne (n° 18). On ne doit cependant pas s’étonner si elle reflète aussi la fragilité et les problèmes propres au tissu social et ecclésial où elle se déploie.
Les jeunes Églises d’Afrique sont aujourd’hui appelées à faire un saut qualitatif pour s’acheminer vers leur maturité, laquelle suppose que l’on passe d’une pastorale de la dépendance à une pastorale de la responsabilité, la formation d’un laïcat engagé et impliqué, la prise en charge responsable des nécessités matérielles et spirituelles. Ces jeunes Églises, rendues désormais à 100 ou à 150 ans de la première évangélisation, sont appelées à entreprendre une nouvelle évangélisation qui ne sera plus exclusivement centrée sur la sacramentalisation de masse.
À mon avis, il est question de passer d’un christianisme de peuple à une confessio Trinitatis personnelle, capable d’engendrer une nouvelle culture, car comme l’affirme justement le Pape Jean Paul II, une foi qui ne crée pas une culture est une foi qui meurt. De façon analogue, cela vaut aussi pour la vie religieuse. L’évangélisation de plusieurs jeunes Églises fut possible grâce surtout au travail apostolique des instituts religieux qui ont joué un rôle déterminant dans l’annonce et la propagation de l’Évangile et aussi dans l’enracinement du christianisme dans le continent. Ils ont payé un important prix, dû au fait qu’ils devaient suppléer à toutes les nécessités, à tous les ministères, afin d’assurer différents services dans la première phase de la plantatio Ecclesiæ. Au cours de cette phase de l’évangélisation, les religieux de n’importe quel institut étaient simplement appelés « missionnaires ». Ces derniers formaient une unique catégorie sans grandes distinctions quant à l’identité charismatique de leurs communautés d’appartenance.
Face à ces exigences de la plantatio de l’Église, les instituts se sont très souvent aplatis. Le phénomène a ainsi contribué à créer une équivoque sur le sens de la vocation religieuse qui ne peut simplement pas être assimilée à celle du clergé ; elle ne représente pas non plus (pour ce qui est de la vie religieuse féminine) une main-d’œuvre au service de ce dernier. Aujourd’hui, de nombreux instituts religieux implantés en Afrique sont engagés à redécouvrir leur patrimoine charismatique, la fidélité à leurs propres origines et à leurs propres sources spirituelles qui puisse garantir leur apport créatif dans l’édification des Églises en Afrique. Revenir s’abreuver à son propre puits, n’est pas un engagement aisé ou dépourvu de difficultés et de souffrance.
Pour les jeunes instituts autochtones, d’ailleurs, le problème n’est pas moins délicat : la plupart d’entre eux sont nés comme main d’œuvre préparée pour assurer les œuvres ou les activités au sein des Églises naissantes. Aujourd’hui, de nombreuses communautés religieuses nées en Afrique et fondées pour la plupart par des Évêques s’interrogent sur leurs origines et sur leur identité, souvent, au milieu de conflits internes déchirants.

2.       Peut-on considérer que le processus d’inculturation de la vie consacrée en Afrique soit suffisamment avancé ?
La plantatio de la vie religieuse en Afrique reste substantiellement attachée au modèle occidental ; il en est de même pour le modèle d’Église en général (les curies diocésaines, les séminaires, les scolasticats, les structures de formation, etc.). On parle beaucoup d’inculturation, mais pour s’inculturer, il ne suffit pas de se vêtir d’habits confectionnés de pagnes africains. Parfois, lorsqu’ils évoquent le problème de l’inculturation, les instituts s’attardent sur ses aspects secondaires, bien qu’importants, notamment ceux qui concernent les adaptations liturgiques, alimentaires, linguistiques, vestimentaires, etc.
Quant aux instituts internationaux, ils se limitent souvent à des éléments qui ne vont pas au-delà (quand tout va bien) des règles d’une plus ou moins sereine cohabitation multiculturelle. Les charismes des instituts doivent certainement être inculturés s’ils veulent être significatifs pour le peuple de Dieu vivant aujourd’hui sur le continent africain. Cela nécessite un accueil authentique de la diversité destinée à amorcer un processus de renouvellement pouvant générer d’ultérieurs développements, dans un dynamisme pascal de vie-mort-résurrection, qui exige une conversion continuelle pour tous. Nous nous trouvons dès lors face à une délicate et complexe problématique qui trouve son analogie dans l’inculturation de l’Évangile.
Il y a cependant, dans le patrimoine charismatique des instituts religieux, certains éléments qui ne peuvent pas s’adapter aux différentes cultures et qui peuvent susciter des réactions dans certains contextes parce qu’ils appartiennent à la même logique évangélique qui juge toutes les cultures, les purifie, sans se soumettre à celles-ci. Comme l’avait souligné, déjà en 1978, un Message conjoint de la Congrégation pour les religieux et de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, adressé aux religieux d’Afrique, il faut se rappeler que toutes les cultures, de même que tous les hommes, ont besoin de se convertir en « esprit et en vérité » et que le passage des valeurs africaines à celles de la vie religieuse exigera toujours que l’on fasse un saut de qualité et que l’on transcende toutes les valeurs réelles assumées.
Je le répète : ce discours est délicat et complexe. Il exige l’amour vis-à-vis de l’Église, la fidélité à sa Tradition et la fidélité au peuple au milieu duquel on travaille. Il faudrait aussi se libérer des idéologies et des slogans scandés au nom de l’inculturation qui souvent n’ont aucun rapport avec la réalité vécue.
Une certaine théologie africaine (souvent élaborée au sein des universités européennes) revendiquait par exemple, l’"adaptation" des espèces eucharistiques. On a parlé du mil, du manioc à consacrer à la place du pain de froment ; on a évoqué le vin de palme à privilégier au vin de raisin, un produit qui n’a pas de sens en tant que fruit du travail de l’homme africain. Il reste cependant que dans les séminaires, les scolasticats et ailleurs on mange habituellement la baguette et au cours des fêtes africaines, même ecclésiastiques, coule abondamment du... champagne qui non plus n’est certainement pas le fruit du travail de l’homme africain.
Je veux dire par là qu’aujourd’hui nous vivons dans un contexte de globalisation. De nombreux paramètres culturels connaissent une mutation ; même le concept de tradition au sein des cultures africaines est soumis à la critique de la part des jeunes. L’Église, comme la vie religieuse, doit parler aux hommes vivants ; à ces hommes que nous rencontrons aujourd’hui et non à des pièces archéologiques qui se trouvent dans les musées. En outre, personnellement, je me méfie beaucoup de ces prétendues théologies qui se disent élaborées « sous l’arbre », au nom des cultures africaines. Toutefois, elles se nourrissent d’un arrière-fond scientifique de matrice européenne, certainement inaccessible, de par le coût trop élevé, pour ceux qui vivent réellement dans des cases, « sous l’arbre ». Souvent, il s’agit simplement d’idéologies couvant une conflictualité, revendiquant des antiques identités, humiliées et opprimées, mais qui dans le monde actuel, surtout celui des femmes, des jeunes et des plus pauvres, n’ont aucune valeur réelle de libération.
En Afrique, en effet, où la réalisation d’objectifs tels que la réduction de 50% du taux de pauvreté, préalablement fixée en 2015, doit désormais attendre, d’après le rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (Cf. Le Monde du 1er juillet 2004), jusqu’en... 2147 ; la préoccupation principale n’est certainement pas de dialoguer avec des cultures qui n’ont plus rien à voir avec la réalité au sein de laquelle vivent les masses de jeunes sans espérance. Il me semble, enfin, opportun d’affirmer qu’un processus mûr d’inculturation en Afrique, doit emmener l’Église, comme les instituts religieux, à produire personnellement des moyens de subsistance et d’évangélisation : un objectif qui est encore loin d’être atteint. Le problème de la relation entre la base économique et le discours élaboré n’est certainement pas négligeable et il ne peut être évité.

3.       Que dire des nombreuses vocations religieuses au sein des jeunes Églises d’Afrique ?
En effet les jeunes Églises d’Afrique sont aujourd’hui caractérisées par de nombreuses vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, ce qui donne une image de vivacité et de jeunesse. Un tel phénomène qui est évidemment en contraste avec la situation en Europe, où les vocations deviennent de plus en plus rares, ne doit pas nous faire sous-estimer les difficultés, souvent graves, rencontrées en termes de formation, de stabilité et de d’autonomie.
En Afrique, à la différence de l’Europe, beaucoup de jeunes déclarent vouloir devenir prêtre, religieux ou religieuse. Il est important de faire comprendre à ces jeunes que l’initiative de la vocation vient de Dieu qui appelle et non de sa propre aspiration à mener une vie parfois comprise comme une simple promotion sociale. Nous ne pouvons répondre à Dieu que dans la mesure où, dans sa liberté, il nous appelle. Saint Benoît recommande, dans sa Règle, de ne pas trop facilement ouvrir à une personne qui frappe à la porte de la communauté comme aspirant : il est mieux de faire attendre le candidat ou peut-être même de le décourager.
Cela peut sembler paradoxal, mais il y a dans cette affirmation une sagesse profonde. S’il s’agit d’un appel authentique de la part de Dieu, cela finira évidemment par s’imposer. Or nos efforts, en général, s’exercent exactement dans le sens contraire ; nous dépensons beaucoup d’énergies pour attirer, pour capturer les jeunes et les faire entrer dans nos communautés. Nous offrons de grandes richesses sans exiger le juste nécessaire ; nous offrons la possibilité de faire des études, de se soigner ; nous assurons la nourriture en abondance. Dans certains instituts religieux, seulement comme argent de poche (l’intouchable argent de poche!), les novices reçoivent plus que le salaire minimum d’un ouvrier.
Une telle pratique, en Afrique, risque de créer des équivoques sur le sens de la vocation, tout en cachant ses exigences les plus profondes. Si on approfondissait sociologiquement le phénomène avec des analyses scientifiques, on pourrait facilement noter le rapport qui existe, dans les pays pauvres, entre la croissance des vocations et la crise économique. Cela nous renvoie à l’Italie où, dans le passé, les séminaires étaient pleins de séminaristes avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’école obligatoire et gratuite. Les séminaires étaient spacieux et construits pour des centaines de jeunes qui avaient peut-être le seul désir de continuer leurs études. Aujourd’hui, ils sont vides et l’on rencontre plutôt la difficulté d’entretenir ces grandes structures où vivent à peine quatre ou cinq séminaristes. Plusieurs instituts religieux en Europe ont connu une transformation similaire.
Il y a de grandes infrastructures qui sont souvent transformées en hôtels ou en maisons d’accueil pour hôtes. Il y a en outre des phénomènes plus inquiétants concernant certains instituts et qu’on pourrait assimiler à une traite des vocations ; une situation face à laquelle les autorités ecclésiastiques ont dû intervenir énergiquement. Je me réfère à ces cas où certaines congrégations dont les membres sont âgés, avec de grandes richesses à gérer, voulaient « acheter » des jeunes vocations dans des pays pauvres, en essayant ainsi de les attirer avec l’offre d’une vie plus aisée. Ces jeunes vocations seraient condamnées à être des gardiennes de structures mortes, en échange de conditions de vie meilleures par rapport à la vie de leur pays d’origine.
Pour toutes ces raisons justement, l’exhortation Ecclesia in Africa, tout en recommandant un grand discernement pour les vocations, affirme clairement que les instituts de vie consacrée qui n’ont pas de maisons en Afrique, ne doivent pas se sentir autorisés à y chercher de nouvelles vocations, sans un dialogue préalable et sérieux avec les Ordinaires (Cf. Ecclesia in Africa, 94). À l’origine de toute vocation religieuse il y a la conscience, même si athématique, de l’amour infini de Dieu. S’il n’y a pas cette conscience, il n’y a pas de fondations pour commencer à bâtir l’édifice. On continuera ainsi à suivre ses projets, ses rêves, ses études, ses plans pastoraux, sans que tout ceci soit fondé sur le rocher de la volonté de Dieu.
Nous devons être disponibles pour vivre pleinement notre vie, mais aussi accepter de mourir. Admettre que les œuvres de nos instituts et nos instituts eux-mêmes aient achevé leur mission. Il ne nous appartient pas de les sauver contre la volonté de Dieu. Ce qui est de notre ressort, c’est de vivre notre vie dans la fidélité sans être trop préoccupés, ni des fruits, ni des œuvres, ni du futur qui appartiennent à Dieu. Quand nous lions excessivement la vie religieuse aux œuvres, nous sommes souvent préoccupés de sauver nos œuvres, tout en sacrifiant la qualité de la vie et la vocation la plus profonde à laquelle nous sommes appelés. Nous risquons de tuer la relation d’amour à cause d’une préoccupation d’efficacité des œuvres, en multipliant les activités au détriment du temps nécessaire à passer auprès de l’Époux.
Les supérieurs ont la responsabilité de ne pas surcharger leurs membres de travail inutile ; car souvent ils n’ont pas le courage de faire des choix clairs ou d’abandonner certaines œuvres. On a parfois besoin de courage pour détruire ce que nous avons construit et pas seulement le courage de commencer à construire. L’institut n’est pas une ONG, une organisation simplement humanitaire ou caritative, mais il est au service d’un amour et d’un charisme.
Il me semble qu’il s’agit là d’un problème crucial chez les grands instituts religieux nés en Europe et, qui, pour survivre aujourd’hui, sont pleins de vocations africaines douteuses. Sans une analyse critique et courageuse, on court le risque de trahir au même moment, non seulement l’identité charismatique de l’institut, mais aussi l’Afrique, une terre où le Christ opprimé et crucifié continue de mourir.

4.       Un des phénomènes qui préoccupent les communautés religieuses en Afrique est l’instabilité vocationnelle. Il y a de nombreuses  "entrées" dans les instituts, mais il y a aussi de nombreuses "sorties" et pas seulement durant le noviciat. Comment comprendre un tel phénomène ?
Il s’agit sans aucun doute d’un phénomène qui concerne de nombreuses communautés religieuses aujourd’hui, petites ou grandes (et certainement pas uniquement en Afrique). Nous sommes face à une « perspective anthropologique » différente de celle du passé. Rappelons-nous que l’une des propositions faites, bien que de façon timide, au cours du Synode des Evêques sur la vie consacrée, était d’organiser des formes de consécration « ad tempus », entendues comme un engagement périodique, pour la pratique des conseils évangéliques. Une telle vision nie l’essence et le sens de la vocation à la vie consacrée.
Les défections des communautés religieuses mûrissent sur un terrain où les convictions de foi se sont affaiblies ou n’étaient substantiellement pas présentes au départ. Notre foi dans le mystère de l’Incarnation, c’est la conviction que l’éternité est vraiment entrée dans le temps, mais c’est aussi la conviction qu’à son tour le temps entre dans l’éternité. Si le « oui » dit à la profession (de même que le consentement échangé par les conjoints dans le sacrement du mariage) ne s’enracine pas dans cette foi capable d’engendrer une culture philosophico-théologique déterminée, il n’est pas étonnant que ce « oui » soit ad tempus.
L’instabilité vocationnelle n’est que le signe d’une crise de proportions plus vastes en rapport avec la christologie elle-même et dont les effets sont observables au sein de la vie religieuse. Dans la vie chrétienne et, à plus forte raison, dans la vie religieuse, si nous nous arrêtons avant le moment de la croix, nous ne faisons plus l’expérience de l’amour, de la résurrection et donc, de la gloire de Dieu. Nous nous trompons nous-mêmes et nous trompons l’Église que nous croyons construire par le seul fait des « bonnes œuvres » que nous réalisons.
En Afrique, comme ailleurs, la fragilité dans les convictions personnelles est incapable de soutenir le choix vocationnel et l’engagement pris à travers la profession. La suite du Christ nous invite à aller jusqu’au bout sans regarder en arrière. La radicalité de l’Évangile est fondée sur l’éternité qui entre dans le temps et dans l’histoire ; qui entre dans notre existence, tout en la projetant dans l’éternité.
Dans la vie religieuse, il peut y avoir de nombreuses difficultés, mais il faut redécouvrir aussi la valeur de la fidélité. Il convient d’éduquer les jeunes à la fidélité, laquelle commence par les petites choses et embrasse par la suite les choix fondamentaux de la vie. En tout cas, j’ai l’impression que le problème de l’instabilité vocationnelle, plus qu’une difficulté de la vie religieuse en Afrique, soit plutôt un problème de l’Occident actuel, dominé par la culture de la postmodernité, par une pensée faible, éphémère et « transversale ». Nous pouvons peut-être parler là d’une opération théologico-culturelle de marque néocolonialiste, c’est-à-dire, une invasion du territoire africain par des problématiques de crise de la pensée occidentale.


2.         LE DÉFI DE LA FIDÉLITÉ


5.       Quelles sont les difficultés majeures que rencontrent l’accueil et la pratique des conseils évangéliques dans les cultures africaines?
Quand nous parlons des conseils évangéliques, dont la profession caractérise toute forme de vie consacrée, nous parlons surtout d’une attitude profondément unitaire. Les conseils évangéliques ne sont autre chose que l’expression d’un comportement fondamental qui oriente toutes les dimensions anthropologiques, définies par la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, vers la relation préférentielle avec Jésus Christ. Avant d’être une « réponse », c’est-à-dire un engagement concret (et aussi juridique, avec les vœux) de la personne consacrée qui les assume dans la profession, les conseils évangéliques sont un « charisme », un don du Dieu trinitaire qui nous appelle à prendre part à sa vie. L’accueil d’un tel don exige une attitude de foi. La chasteté, la pauvreté et l’obéissance sont, au fond, un unique acte de foi, une confessio Trinitatis, qui se traduit ensuite en comportement moral, en discipline et règle de vie. Sans une vie de foi, les conseils évangéliques perdent leur valeur théologale. Ils projettent la personne qui les assume vers un horizon eschatologique ; ils expriment l’éschaton du Corps du Christ, de l’Eglise, préfigurée en Marie.
Les conseils évangéliques sont en même temps inséparablement liés à la communauté religieuse qui en soutient l’engagement ; ils sont également des dons pour édifier la communauté et l’Église. Une communauté fraternelle et pleine de ferveur religieuse joue un rôle très important dans la pratique des conseils évangéliques. Le péché contre la pauvreté, la chasteté et l’obéissance est un péché contre la communauté. Cette adhésion aux conseils évangéliques, en tant qu’acte personnel et existentiel de foi, se heurte à toutes les cultures et, de toute évidence, aussi aux cultures africaines, encore moins pénétrées par les valeurs évangéliques et souvent dominées par une vision anthropologique qui ne sait pas mettre au centre l’individu avec sa propre sphère de responsabilité et de liberté.

6.       On soutient ça et là que l’engagement pour la chasteté consacrée ne "s’adapte" pas aux cultures africaines, essentiellement portées à exalter la vie et la fécondité.
La chasteté consacrée est un engagement qui pose problème dans toutes les cultures : pour toutes les cultures et pour toutes les races, elle constitue un défi pour la nature humaine et exige un processus pénible d’ascèse et de discipline qui dure toute la vie.
Les cultures africaines qui exaltent la fécondité ne favorisent certainement pas toujours la compréhension d’un tel engagement qui ne peut être assumé qu’à l’intérieur de la vision précédemment évoquée, c’est-à-dire à partir d’une attitude de foi, d’amour préférentiel pour le Christ et pour son Église.
Nous ne pouvons cependant pas accepter la vision selon laquelle l’homme africain aurait plus de difficultés que les autres à se donner totalement au Christ, rencontré personnellement sur son parcours existentiel. Autrement, nous deviendrions racistes tout en insinuant la conviction selon laquelle l’homme africain n’est pas capable de suivre le Seigneur avec la même intensité et le même amour que l’homme occidental. On est souvent confronté, surtout en Afrique, à une vision très restrictive de la chasteté, fondamentalement conçue comme une abstention de l’exercice de la sexualité ou encore comme une sublimation de celle-ci, et non comme appartenance totale à l’Époux, lequel s’est rendu charismatiquement présent dans le projet évangélique de l’institut religieux. La chasteté est une disponibilité totale pour ce projet charismatique pour lequel nous offrons nos énergies et notre corps (et non seulement une partie de celui-ci).
Les personnes consacrées sont appelées à offrir leur corps, leur cœur, leur travail dans la réalisation de ce projet, ayant renoncé à la possibilité de fonder leur propre famille et de vivre des relations privées. Il n’y a donc pas de raison que l’on ait renoncé à tout ceci, au nom du vœu de chasteté, pour rester toute la vie, par la suite, lié aux problèmes de la sœur, du neveu, de la tante ou de l’oncle maternel.
Il est particulièrement important, en Afrique, que l’on mette l’accent sur cette vérité : être constamment impliqué dans les problèmes de sa famille d’origine (même de celle élargie) est contraire au vœu de chasteté. Le paradoxe qui se crée parfois est qu’ayant renoncé, du point de vue humain, à son propre « futur » au nom de la prophétie eschatologique, on reste ensuite prisonnier de son « passé ». On assume le vœu de chasteté, en renonçant au projet de fonder sa propre famille, mais on reste attaché à la famille d’origine, à celle de la sœur, du frère, etc. Combien de religieux et religieuses, combien de prêtres en Afrique prennent en charge la famille d’origine qui voit en eux l’opportunité d’une sécurité sociale ! L’appel de Dieu, surtout dans la vie religieuse, demande qu’on laisse la maison de son père, que l’on quitte sa propre terre, pour avancer vers une nouvelle terre et un nouveau peuple.
A ce sujet le Saint Père, en 1980, dans une Allocution adressée aux Carmélites de Kinshasa, soulignait l’importance du fait que la fécondité, de même que l’attachement à sa propre famille, qui sont des valeurs profondément enracinées dans les cultures africaines, peuvent être vécues par la religieuse africaine à l’intérieur d’une communauté beaucoup plus vaste, continuellement renouvelée et au bénéfice d’une fécondité spirituelle absolument surprenante. Attention, cependant, à ne pas faire du problème de l’attachement à la famille naturelle un problème typiquement africain. Même en Europe, la famille d’origine, à travers ses liens affectifs et de protection, exerce un poids déterminant sur les personnes et, en périodes de crise, devient l’unique refuge et l’unique ancre de salut.

7.       Le vœu de pauvreté semble poser de nombreux problèmes aux communautés religieuses qui vivent en Afrique, lesquelles ont souvent des difficultés pour faire comprendre le sens de cet engagement aux candidats autochtones.
L’engagement à la pauvreté consacrée comporte souvent une équivoque pour les membres des communautés religieuses en Afrique. Ceci parce que les religieux ont généralement un niveau de vie plus aisé par rapport à celui des populations environnantes. Le vœu sonne comme une duperie, parce qu’en fait, concrètement, il sanctionne le passage à un style de vie plus riche par rapport à celui mené jusques alors au sein de sa propre famille. Concrètement, on renonce à ce qu’on n’a jamais possédé dans le cadre social de sa propre famille d’origine, pour retrouver, au sein de la nouvelle famille religieuse, la garantie de recevoir tout ce dont bénéficient les membres de la communauté.
C’est ainsi qu’en 1986, à travers certaines instructions et directives données pour la vie consacrée dans le pays, l’Épiscopat de l’ex-Zaïre s’exprimait opportunément en disant qu’il faut éviter d’imposer au peuple la « difficile acrobatie de l’esprit » qui consiste à appeler « pauvre » ce qui est visiblement « riche ». L’engagement à vivre la pauvreté évangélique, en Afrique, exige des instituts religieux une réflexion profonde sur la manière et sur les structures qui l’expriment et la rendent authentique et visible. Dans une situation de misère et de sous-développement, la pauvreté des religieux n’est en aucun cas évidente. Il est nécessaire qu’on insiste plutôt sur la disponibilité, sur le service aux pauvres, sur l’abandon des projets personnels, sur la communion des biens, sur le bien commun et aussi sur l’engagement pour le développement.
En effet, la pauvreté évangélique exige qu’on lutte contre la misère ; elle demande que l’on travaille dur pour « s’enrichir » et pour pouvoir donner, afin de participer au mystère du Fils qui, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous enrichir. Comme aimait le dire Mgr Jean Zoa, ancien Archevêque de Yaoundé, dans toute sa profondeur de théologien et de pasteur africain : la joie du chrétien se trouve dans sa capacité de partager ce qu’il a ; mais pour partager, il faut avoir ; pour avoir il faut produire ; pour produire il faut travailler rationnellement et s’organiser solidairement avec les autres.
Ceci signifie que le discours sur la pauvreté évangélique ne devient authentique qu’au bout d’un processus durant lequel les membres des communautés religieuses ont véritablement développé toutes leurs potentialités, pour produire des richesses et, par la suite, les mettre en commun afin de les donner aux plus pauvres. L’engagement à vivre la pauvreté religieuse en Afrique oblige les jeunes candidats à la redécouvrir aussi comme travail matériel, comme prise en charge de leurs exigences personnelles, comme conscience que les biens ne tombent pas du ciel (dans le sens qu’ils sont continuellement assurés par l’Europe), mais que ces biens sont le fruit de l’engagement de chacun. Jean Paul II, en 1992 à Conakry, affirmait qu’il est fondamental pour tous les religieux en Afrique de donner l’exemple dans le travail, lequel est nécessaire pour gagner sa vie et source de fierté ; car, il associe l’homme à l’œuvre divine de la création continuellement en acte.
L’attitude au travail manuel représente, entre autres, un élément important de vérification des vocations, justement dans une vision culturelle très répandue où la vie religieuse est considérée comme une promotion vers un statut social qui dispense du travail manuel, considéré comme servile. Cet engagement au travail doit constituer, en outre, un modèle de développement pour le peuple qui vit dans la misère. Un dernier aspect de la pauvreté religieuse est la conviction selon laquelle les biens des communautés ne sont pas des biens privés. Ils n’appartiennent ni aux membres, ni aux supérieurs, ni même à l’institut, mais ils sont au service du Règne de Dieu qui se concrétise à travers la réalisation du projet charismatique de l’institut.

8.       Que dire alors au sujet du vœu d’obéissance qui semble aujourd’hui moins contesté en Afrique par rapport à ce qu’il est au sein de la culture démocratique occidentale ?
Même en ce qui concerne l’obéissance religieuse, il est nécessaire d’écarter plusieurs équivoques. Le contexte socioculturel qui caractérise de nombreux pays africains a connu la domination et la colonisation. Il est aussi caractérisé par des structures claniques et familiales avec des pouvoirs souvent hiérarchisés. Un tel contexte porte facilement à interpréter l’obéissance religieuse comme une soumission humaine et sociale à des règles et à des mécanismes préétablis. L’obéissance religieuse présuppose toujours la liberté, de même que la chasteté consacrée présuppose l’amour et la pauvreté suppose une richesse que l’on désire donner : c’est là le paradoxe des conseils évangéliques. En dehors de cela, l’obéissance peut aussi être très commode : on renonce à réfléchir, à assumer des responsabilités, à construire activement, en échange de la prise en charge de notre personne par l’institut.
Dans les noviciats, avant de parler de l’obéissance, il faudrait d’abord éduquer les jeunes à la responsabilité, à la coresponsabilité, à l’intelligence, à la créativité, à la volonté, à la participation responsable au projet évangélique de l’institut. Il est nécessaire de transmettre la conscience que chacun a l’obligation d’apporter sa contribution au patrimoine commun ; car le charisme de l’institut est confié par Dieu, qui est à l’origine de toute vocation, à chacun des membres et non seulement aux supérieurs et aux chapitres.
L’obéissance religieuse exige la liberté et le partage du projet. L’obéissance est Jésus qui meurt en croix, dans sa participation extrême au projet du Père et dans son amour pour Lui. Dès lors, il est nécessaire de redécouvrir la participation au projet de l’institut, laquelle suppose la connaissance et la fidélité créative à ses origines charismatiques, à sa propre identité et à ses exigences. En dehors de ce projet, on risque d’obéir tout simplement à soi-même, à ses propres programmes, ou alors, il peut s’agir d’une fausse obéissance qui permet de nous décharger de nos responsabilités tout en rendant coupables les autres quand les choses tournent au vinaigre.
Enfin, on ne saurait oublier que la pratique des conseils évangéliques engage non seulement chacun des membres, mais aussi l’institut tout entier. Il n’y a aucun sens à dire que le religieux vit dans la pauvreté pendant que l’institut possède beaucoup de richesses ; que le religieux vit dans la chasteté, mais que l’institut n’est pas chaste en raison de sa prostitution vis-à-vis du pouvoir et du manque du courage de parler et de proclamer la vérité. Et encore, que le religieux vit le vœu d’obéissance, mais les choix de l’institut n’obéissent pas au projet charismatique qui seul justifie son existence dans l’Église.

9.       Les cultures africaines ne valorisent pas facilement l’individu et ses choix. Ne représentent-elles pas, dans ce sens, un obstacle sérieux pour une vision capable de soutenir le choix vocationnel d’une vie consacrée ?
De nombreuses cultures africaines sont marquées par une vision anthropologique de type clanique. Ici l’individu n’a pas de valeur en dehors de son clan, de son groupe et de sa famille qui décide pour lui. Il est très souvent difficile, dans de nombreuses langues d’Afrique, de traduire le mot « personne », qui est une notion fondamentale pour une philosophie et une théologie chrétiennes.
Dans ce contexte, il s’agit d’agir en profondeur même avec une créativité au niveau terminologique, sans oublier par exemple que la valeur assumée par la parole « personne » est la résultante de la réflexion trinitaire et christologique des premiers siècles de l’Église. Il serait nécessaire de déclencher un processus de « re-création linguistico-terminologique » semblable à celui entrepris par la réflexion théologique et conciliaire des premiers siècles. Là où on ne récupère pas le sens de la responsabilité et la capacité de donner des réponses personnelles, on ne comprendra pas l’obéissance, encore moins la fidélité et l’amour.
En Afrique, on est souvent confronté au phénomène de la sorcellerie, c’est-à-dire à une vision de forces magiques qui dominent la vie, la nature et l’histoire, une vision qui soustrait l’homme à la fatigue de sa propre liberté de choix et de sa propre responsabilité. Ne nous étonnons pas, car même en Occident, il existe un mécanisme analogue à celui-ci, bien qu’il s’exprime par des formes culturelles différentes, qui affaiblit la conviction de la responsabilité de l’individu là où, par exemple, une vision structuraliste la soumet aux différentes forces du contexte social, humain et environnemental.
Il faut donc découvrir dans l’Église et dans la société africaine, au sein même du conflit social (car il n’existe pas de prétendues sociétés non conflictuelles, comme certains anthropologues le voudraient), la liberté qui est avant tout liberté de faire des choix et donc liberté de donner définitivement sa propre vie, liberté qui se livre par amour, dans l’obéissance, dans la chasteté et dans la pauvreté. Nous devons croire que l’Évangile est vraiment libérateur ; il sépare le fils de son père, la fille de sa mère et crée une nouvelle culture. Le lien de sang et de nature est dépassé par le lien de la grâce et de l’esprit. Cet Évangile est un vrai défi pour ces cultures africaines au sein desquelles les liens familiaux, ethniques et claniques se transforment parfois en religion. Tant que nous ne serons pas capables de vivre la communauté religieuse et de former une nouvelle famille dans l’Église, nous serons toujours liés au cordon ombilical de notre famille d’origine.
Il y a en plus une autre dimension propre à certaines cultures africaines qui représente un obstacle pour la foi chrétienne. C’est là où on affirme une vision cyclique du temps qui refuse le progrès, le développement, la nouveauté. La culture biblique nous présente une vision du temps qui comporte en elle-même la possibilité d’un progrès. Dieu fait irruption dans l’histoire de l’homme et la transforme, en la faisant progresser pour arriver à la plénitude qui est le Christ total.
La même chose survient dans notre histoire personnelle, si nous acceptons d’entrer dans cette vision biblique. Quand Dieu appelle Abraham et, dans sa liberté, ce dernier répond à l’appel en accueillant la Parole, c’est une nouvelle histoire qui naît et qui brise la vision cyclique du temps. On ne pourra plus dire que « ce qui fut, cela sera, ce qui s’est fait se refera, et il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! » (Qo 1,9). Abraham accueille la Parole, quitte son pays et la maison de son père et va vers la réalisation de la promesse. Il crée une nouvelle histoire, une nouvelle culture et un nouveau peuple.
C’est cette même réalité que nous sommes invités à vivre au sein de nos communautés religieuses. Face à l’interpellation de la Parole de Dieu, nous pouvons répondre « oui » ou « non ». Cela comporte une nouveauté dans un sens comme dans l’autre, dans le bien ou dans le mal. L’homme ne demeure jamais le même, quand il est confronté à la parole de Dieu. La nouveauté nous vient de Dieu, de sa transcendance qui entre dans notre histoire et exige notre réponse.

10.     La vie commune est un grand défi pour les religieux. Quelle est son importance en Afrique ?
Le témoignage de la vie de communauté est fondamental. La communauté est le signe de la communion trinitaire. Nous ne devons jamais oublier que le Dieu en qui nous croyons est un Dieu trinitaire, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Jésus Christ, et pas simplement le dieu de la philosophie grecque ou celui des religions traditionnelles. La vie religieuse est l’icône de la Trinité. Selon l’expression, très profonde, de l’exhortation Vita consecrata, elle est « l’une des traces perceptibles laissées par la Trinité dans l’histoire, pour que les hommes puissent connaître la fascination et la nostalgie de la beauté divine » (Vita consecrata, 20).
La vie commune des religieux se construit à l’image de cette communion trinitaire. Si nous détruisons la communauté, nous cessons d’être icônes et nous cachons les traces laissées par la Trinité dans l’histoire. On cache ces traces chaque fois que nous nous soumettons aux critères de la race, de l’ethnie, de la culture, des différences sociologiques et caractérielles... Là où ces distinctions sont plus fortes que l’unité, il n’y a plus de vie religieuse. Le défi trinitaire consiste précisément dans la construction de l’unité à partir de la diversité.
Au sein de la Trinité nous trouvons la plus grande distinction en ce qui concerne les relations entre les personnes (le Père n’est ni le Fils ni l’Esprit), mais en même temps réside en elles l’unité la plus abyssale (c’est le même Dieu en trois personnes). La vie religieuse est icône, « trace » et confession de la Trinité. La réalité trinitaire demeure un mystère pour nous ; nous pouvons cependant nous approcher d’un tel mystère par la voie de l’expérience. Dans nos communautés religieuses, nous pouvons construire l’unité à partir de nos différences ; ceci nous permettra, entre autres, de mieux comprendre le mystère trinitaire.
Dans une vraie communauté n’existent pas ceux qui ne font que donner et ceux qui ne font que recevoir : nous sommes tous appelés à donner et à recevoir. Si nous ne sommes pas capables d’offrir un exemple d’unité dans notre famille religieuse, comment pourrons-nous parler d’amour et d’unité aux autres ? Dans ce cas, tout le travail que nous faisons ne serait plus l’œuvre à travers laquelle la grâce de Dieu se rend présente et nous ne serions plus que des hypocrites. Par contre, dans la mesure où nous menons une vie fraternelle authentique, nous pourrons faire des progrès dans la vie intérieure et aussi dans la mission, dans l’annonce et dans l’action apostolique.
Le grand défi de la mission ne consiste pas, à mon avis, dans l’exportation ou l’extension du modèle occidental ; encore moins dans la multiplication des modèles ecclésiaux liés aux différentes identités culturelles. Il s’agit plutôt de créer des modèles « transculturels » qui préfigurent, dans le temps et dans l’histoire, l’Église comme « signal levé devant les nations » (Sacrosanctum Concilium, 2). Le défi majeur est de former des communautés prophétiques où l’on soit capable de conjuguer le maximum de différences avec la plus profonde unité et communion.
Revenant à l’exemple de la vie trinitaire, cette dernière possède sa dimension interne, ad intra, et une dimension externe, ad extra. Si les missions ad intra se constituent dans l’opposition des relations des personnes trinitaires, dans les missions ad extra, l’on souligne l’action unitaire de toute la Trinité. C’est la même chose pour la communauté religieuse : on trouve en son sein tout genre de distinctions, mais à l’extérieur c’est l’institut qui est présent et qui œuvre.


3.         Réalité ecclésiale et prophétie


11.     Qu’est-ce qui caractérise la présence et l’engagement des communautés religieuses au sein des jeunes Églises d’Afrique ? Que peut-on dire de leurs "mutuae relationes" ?
Je crois qu’à ce sujet, il convient de faire une distinction qui considère, avant tout, le rapport des Églises particulières avec les instituts internationaux et, ensuite, celui avec les instituts autochtones. Aux jeunes Églises, les instituts internationaux apportent d’importantes richesses matérielles et humaines, en assurant les activités éducatives, sanitaires, apostoliques, les constructions d’écoles, d’hôpitaux, d’églises et un personnel spécialisé au service des diocèses sans que ces derniers s’y investissent beaucoup. Ces instituts ont, de toute évidence, une force contractuelle importante, parce que les Évêques ont besoin de leur présence et de leur activité.
Les mutuae relationes se réduisent souvent à des rapports qui considèrent les services rendus par ces instituts au sein de la pastorale diocésaine. En dehors de cet aspect, ces instituts semblent perdre d’intérêt ; c’est là le point faible dans les mutuae relationes. La vie consacrée n’est généralement pas prise en compte dans la profondeur de sa réalité charismatique, dans son être, signe prophétique et eschatologique, mais surtout dans l’efficacité de ses œuvres et de ses ministères (obtenus à des prix modestes). Du reste, il faut aussi avoir le courage de confesser que ces mêmes instituts sont souvent fiers d’obtenir des postes importants dans la vie diocésaine, sensibles, par le fait même, à une logique de pouvoir, peu prophétique, bien qu’ecclésiale.
Pourtant, les communautés religieuses sont essentiellement appelées à être prophétiques et non seulement à offrir des ouvriers spécialisés. Plus que les autres catégories de fidèles, les religieux sont appelés à « prendre le large », à avancer en eaux profondes, à montrer la réalité intime de la vocation chrétienne. La vocation prophétique propre aux religieux exige la liberté et le courage de parler, de dire la vérité, de juger les événements, de libérer la parole au sein des Églises où ils vivent et travaillent. Comme au temps des prophètes de l’Ancien Testament, une telle vocation ne crée pas toujours la popularité ; on risque en effet d’irriter en même temps le roi, le peuple et les prêtres. Mais si les religieux, qui n’ont rien à perdre, parce qu’ils ne possèdent rien, ne libèrent pas cette parole, qui d’autre pourra le faire ? Si pour conserver les postes acquis, ils ont peur de parler, de prendre position, de juger selon l’Évangile, qui donc pourra parler ?
Il y a ensuite tout un discours à faire au sujet des instituts religieux autochtones, des instituts féminins en particulier. Plusieurs d’entre eux ont été fondés par des Évêques qui ont ainsi cru pouvoir répondre, de cette manière, aux diverses nécessités des jeunes Églises locales. Les problèmes sont souvent importants en ce qui concerne l’autonomie matérielle, la formation, les cadres, etc. Mais ce qui pèse le plus dans leur réalité, c’est le manque de clarté dans leur identité charismatique, ce qui conduit aussi à un recrutement indifférencié des candidats, qui se révèlent par la suite incapables d’assumer leurs engagements et de comprendre souvent même les exigences de la vie religieuse.
Pour les instituts religieux autochtones, la force du pouvoir contractuel se trouve du côté des Ordinaires, qui disposent du personnel religieux (surtout féminin) pour des services et des activités qui n’ont pas toujours de cohérence avec le style de vie de leurs membres. L’exhortation Ecclesia in Africa recommande justement une grande prudence à ce sujet et un sérieux discernement dans la fondation de ces nouveaux instituts au sein des jeunes Églises d’Afrique (Cf. Ecclesia in Africa, 94).

12.     Que signifie pour les communautés religieuses en Afrique, l’invitation des récents documents du Magistère à être créatives?
Les récents documents du Magistère invitent les instituts et leurs membres à la fidélité et à la créativité (Cf. Vita Consecrata, 36-37 ; Repartir du Christ, 20). Les communautés et leurs membres sont appelés à être créatifs, à se renouveler constamment. Cette invitation ne concerne pas seulement ceux qui sont en haut : les supérieurs, les chapitres, les responsables qui dirigent l’institut. Chacun est appelé à donner sa propre contribution pour l’enrichir et le renouveler.
Il est opportun que nous nous référions ici à une expression particulièrement profonde du document Mutuae relationes. Ce document qualifie le charisme des Fondateurs comme une expérience de l’Esprit transmise aux disciples ; ces derniers sont appelés à la vivre, à la garder, à l’approfondir et à la développer constamment (Cf. Mutuae relationes, 11). Le verbe « développer » est très significatif et important. Il révèle une exigence inhérente au charisme donné aux Fondateurs. Le développement, loin d’être déformation ou éloignement du don reçu, implique une nouvelle compréhension de ce dernier. De la même façon que la docilité et la disponibilité des disciples à l’action toujours renouvelée et créatrice de l’Esprit, cette même action qui se trouve à l’origine de la fondation.
L’appel à la créativité me semble être encore plus significatif en contexte africain où les communautés religieuses sont souvent pénalisées par une culture de « prise en charge ». La famille africaine prend en charge ses membres : l’individu est pris en charge par cette réalité plurielle au sein de laquelle les relations réciproques sont assez complexes et il n’est pas interpellé afin qu’il exerce sa propre responsabilité (il y a toujours l’oncle, la tante, la grand-mère pour s’occuper, par exemple, de l’enfant de la jeune fille mère...). À l’intérieur de cette vision, l’individu n’est pas éduqué à assumer un rôle personnel et responsable. Il suffit d’obéir aux mécanismes établis par la tradition, de se soumettre aux règles de la famille pour être protégé, pris en charge par elle. Cette mentalité est facilement transposée au sein de la vie des instituts religieux où les supérieurs (et l’institution) prennent la place de l’oncle, de la grand-mère et de la famille africaine. Mais la famille religieuse est tout autre chose : il n’appartient pas à l’institut d’être responsable de ses membres, ce sont ces derniers qui doivent plutôt se préoccuper de ses exigences et de son projet charismatique !
Dans la vie religieuse, chacun est appelé à être protagoniste. L’appel à la créativité signifie justement qu’il faut apporter une nouvelle contribution qui n’existe pas encore dans le patrimoine déjà constitué de l’institut et qui exige que chacun fasse fructifier ses propres talents. Aujourd’hui en Afrique, la vie religieuse est en train de payer le prix d’une vision marquée par un passé où les supérieurs avaient pour seul devoir d’encadrer et de faire entrer les membres qui leur étaient confiés à l’intérieur d’un schéma bien établi (la Règle, etc.).
Dans la vie spirituelle, l’accompagnement des nouveaux candidats exige une relation de créativité réciproque : le candidat qui est accompagné et la personne qui l’accompagne sont tous les deux impliqués dans un processus de croissance. L’institut doit faire preuve d’assez d’humilité et d’ouverture pour se laisser changer par les nouveaux membres et, de même, par les nouvelles cultures qu’il rencontre : c’est le prix à payer pour son renouvellement.
L’amour du Christ nous renouvelle constamment et nous ouvre à la rencontre avec les autres. Il convient d’insister sur cet amour qui seul donne sens à la vie religieuse. La fidélité créative ne concerne pas seulement la vie personnelle des religieux mais aussi les communautés dans leur ensemble. Il serait difficile d’être femmes ou hommes nouveaux si l’institut refusait de se renouveler, de la même façon qu’il serait difficile de prendre soin de la santé des individus dans un lieu infecté par une maladie contagieuse. Chacun de nous doit s’engager pour la bonne santé de l’institut qui est notre nouvelle famille pour laquelle nous avons quitté la famille d’origine. Nous sommes donc responsables d’elle, de ses finances, de ses activités, de son futur et de ses membres.

13.     Comme missiologue, comment exprimeriez-vous la force missionnaire de ces communautés religieuses ?
L’Église toute entière est, par sa propre nature, missionnaire et nous sommes tous appelés à la mission. Pour comprendre ce que cela signifie il est nécessaire d’approfondir la théologie trinitaire. La mission appartient à tous ; elle nous pousse sur les sentiers du monde entier à la recherche du visage aimé, comme l’Épouse du Cantique des Cantiques. Chercher celui que l’on connaît et que l’on aime : voilà tout le sens de la mission. La mission n’est donc pas le résultat de nos initiatives, mais elle naît du mandat du Seigneur qui nous pousse à rechercher son Visage dans le visage de ceux vers qui nous sommes envoyés, dans le but de partager avec eux l’expérience du Christ (Cf. Repartir du Christ, 22).
Nous devons partir de la conviction selon laquelle Dieu est déjà présent parmi les hommes, même si ces derniers ne le connaissent pas encore de manière consciente. Dieu a aimé les hommes bien avant notre activité missionnaire ; c’est lui qui nous appelle et nous envoie. Si Dieu ne nous appelait pas, nos efforts seraient stériles. Sous l’action de l’Esprit Saint, la vie consacrée devient elle-même mission.
Plus les personnes consacrées se laissent configurer au Christ, plus elles le rendent présent et agissent dans l’histoire pour le salut des hommes. Les religieux collaborent profondément à la mission de l’Église et en enrichissent la vie grâce au charisme de leurs instituts. Ils ont connu le visage du Christ par la participation au charisme de leur famille religieuse et doivent transmettre cette richesse. Cela exige une expérience. En effet, nous ne pouvons pas annoncer le Christ libérateur, tout en ayant peur de parler ou d’agir ; dans ce cas le Christ libérateur que nous proclamons n’a justement pas libéré celui qui l’annonce. De même nous ne pouvons parler d’unité, de communion et puis, au sein de notre communauté religieuse, vivre la jalousie, la division, la haine. Dans ce cas nous privons l’Église de sa prophétie et nous ne réalisons pas notre mission. Nos paroles sont vides de réalité alors qu’elles devraient être des pierres sur lesquelles construire.

14.     Quelles espérances suscite la vie religieuse en Afrique ? Quelle est sa " prophétie" spécifique capable d’interroger, de constituer une confrontation constructive pour la vie religieuse du vieux continent ?
Le plus précieux apport pour l’Église et tout le peuple de Dieu que la vie consacrée offre c’est sa capacité de développer et rayonner une présence de profonde « liberté dans la vérité » vis-à-vis des hommes, de la société civile et aussi de la société ecclésiale. Il s’agit d’une liberté d’analyse de la réalité, de jugement sur celle-ci, d’une liberté de parole et d’action conséquente, au service de la vérité évangélique dans les situations concrètes. Ceci rend les communautés religieuses vraiment prophétiques là où elles sont présentes, en tout temps et en tout lieu.
La vie religieuse en Afrique, en partant de sa propre réalité qui est la pauvreté des moyens, des structures, de son savoir académique, pauvreté de finances et de productivité en général, peut constituer une forte interpellation vis-à-vis de la vie consacrée en Europe qui se présente aujourd’hui avec de grands moyens et de lourdes structures dont elle parvient difficilement à se libérer, pour conserver le pouvoir des œuvres, de l’efficacité et de la représentativité. Si l’Afrique n’a pas peur d’être fidèle à elle-même, elle pourrait aider l’Europe à redécouvrir l’essentiel de la vie à la suite du Christ, à savoir vivre de l’Unique nécessaire, à redécouvrir cette force eschatologique propre à la vie consacrée et qui s’est affaiblie au milieu des multiples compromissions du pouvoir, même au sein de la vie ecclésiale.
La valeur et la force de la vie consacrée en Afrique n’est pas proportionnelle à sa capacité d’imiter le modèle occidental, en y ajoutant parfois une teinte de folklore africain. La vie religieuse en Occident n’a pas besoin de se retrouver elle-même en Afrique, son passé glorieux, les nombres qu’elle a définitivement perdus ; en bref, les rêves et illusions brisés. Elle a plutôt besoin de la diversité en lieu et place de son imitation (qu’elle doit, en plus, abondamment subventionner). Si la vie religieuse en Afrique veut simplement répéter le modèle européen, en vendant parfois des vocations contre de l’argent, des moyens et des structures, elle ne développera aucun prophétisme. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’une nouvelle lecture évangélique de la suite du Christ que le génie du peuple de Dieu vivant en Afrique est appelé à développer et à offrir au patrimoine charismatique commun. Nous ne saurions jouer ce rôle à leur place.
Chacun doit rester soi-même, sans ridicules tentatives de notre part de devenir Africains ; l’on doit rejeter la logique paternaliste de ceux-là qui, au nom d’une fausse solidarité, prennent la place des autres, en les considérant, au fond, inférieurs, prisonniers de structures et conditionnements culturels, incapables de responsabilité et de décision, d’acceptation ou de refus face à la proposition évangélique. La vie consacrée en Afrique pourra ainsi développer un prophétisme authentique, sans complexes d’infériorité, dépourvue de fausses illusions, sans exhiber les nombres relatifs aux vocations, mais en veillant sur leur qualité, en purifiant la mémoire de son histoire par une mise en évidence non seulement des profondes injustices subies ou qu’elle subit, mais aussi de ses propres difficultés et de ses propres péchés.
Dans ses allocutions aux religieux du continent africain, le Saint Père a souvent voulu préciser le rôle fondamental que l’Église attend d’eux comme artisans d’une conversion des mentalités,  de réconciliation, d’une option préférentielle pour les pauvres, d’une dénonciation prophétique des injustices, comme bâtisseurs de communion et comme signe fort d’universalité et de fraternité qui dépasse tout particularisme ethnique, national et culturel. En outre, les religieux et les religieuses - comme le soulignait le Pape Jean Paul II dans son discours aux Évêques de l’ex-Zaïre, en visite ad limina en avril 1988 - imprégnés des richesses de leur propre patrimoine ne pourront que les exprimer et les transmettre selon le génie et le caractère de leur pays, en apportant une précieuse contribution à l’enracinement des Églises particulières et en garantissant la communion avec l’Église universelle.
L’authentique inculturation de la vie consacrée en Afrique ne pourra être que l’œuvre des consacrés africains. Le processus d’inculturation n’est jamais un mécanisme imposé de l’extérieur. Un religieux africain, en effet, ne pourra vivre sa foi, sa suite du Christ, sa fidélité, son amour préférentiel au Christ qu’en tant qu’Africain. Sa foi vécue en profondeur régénèrera sa culture et donnera à l’Église d’Afrique un visage original capable d’enrichir tout le peuple de Dieu. Voilà le chemin ardu, délicat et plein d’espérance pour toute l’Église, que la vie consacrée en Afrique est appelée à parcourir et qui pourra faire exploser cette charge prophétique contenue dans la Vérité évangélique qui, seule, rend libre.

Sc. GAMENDE Aubert 
30/11/2010

http://fr.missionerh.com
(Communauté Redemptor Hominis)






Le blasphème contre l’Esprit-Saint

 « COMMENT PARDONNER »

              I.     INTRODUCTION
Serait- ce donc vrai qu’il faut aujourd’hui un certain courage ou beaucoup de naïveté pour parler de l’éthique du pardon.
Il y aurait dans ce vocable « pardonner » quelque chose de sentimental et d’un peu douteux. Des relents de culpabilisation, des condescendances dominatrices, des élans du cœur à la place de l’efficacité nécessaire, plus froide, mais plus honnête.
Evidemment pour les chrétiens, c’est un peu gênant, puisque la vérité de leurs vies est dans le pardon de Dieu reçu dans le sacrement de Pénitence et que la vérité de leurs relations est dans le pardon mutuel.
Peut être faut- il commencer par nettoyer le pardon et la miséricorde de ce que nous y avons fourré de nos illusions : quand pardonner devient une prise de pouvoir, un droit à la reconnaissance, voire une secrète envie de mettre l’autre en faute ; quand être pardonné n’est pas du tout un don, mais une humiliation dont Dieu nous accable.
Pas du tout, le pardon n’est pas la satisfaction facile de l’âme, toute heureuse d’être si bonne, mais ce qui nous demande le dépassement le plus fort, la transformation la plus réaliste : car le pardon n’est pas la négation des conflits, la générosité qui ne coûte rien ; il a au contraire sa vérité quand l’homme accède, au cœur de la violence, à cette justice qui passe la justice, car elle donne ce qui en un sens n’est pas dû. « Aimez vos ennemis ». « Soyez semblable à votre Père, qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes ».
Cette justice là est justement celle de Dieu envers nous. Le pardon précède tout : car c’est le don qui n’est point mesuré par nos mérites, notre valeur acquise, mais qui passe par- dessus toute séparation, efface d’abord ce qui en nous est mort, tristesse, déviation.
C’est pourquoi ce que l’Evangile nomme péché se révèle dans le pardon même. C’est en connaissant l’amour de Dieu en Jésus Christ que nous apprenons combien nous en sommes loin, combien secrètement nous y étions même opposés. Non pour être accablés : puisque au contraire le don de vie nous donne force de faire le chemin de liberté.

           II.     LE PARDON S’ACCORDE
Le pardon est un don de Dieu. Mais ce pardon que l’on reçoit, convient d’être accordé à son frère. L’Evangile revient là-dessus avec une vigueur saisissante. L’avertissement est même donné rudement : le « débiteur impitoyable », qui veut une justice pure et dure, à cause du peu qu’on lui doit, ira en prison jusqu’à ce qu’il ait tout payé- de ce qu’on lui avait d’abord remis (Cf. Jn 20, 23). Mais en revanche, au miséricordieux la miséricorde, et qui ne juge pas, échappe au jugement. « Pardonne- nous nos offenses comme nous pardonnons ». Le pardon que nous donnons à cette propriété extraordinaire d’anéantir en quelques sortes nos propres manquements.
Le pardon, comme plusieurs autres domaines dans notre vie chrétienne, est un processus. Plus la blessure est profonde plus le processus du pardon est long. Ceci ne veut pas dire que vous avez le droit de rester amer ou en colère. Cela veut dire que plus la blessure infligée est sérieuse, plus il faudra peut-être passer à travers les émotions vers le but final du pardon.

Le pardon est un processus en 4 étapes.

1° Je dois reconnaître la douleur.
2° Je dois délaisser mon droit de m'accrocher à l'amertume, la colère et le ressentiment.
3° Je dois désirer la réconciliation.
4° Je dois lancer à l'offenseur une invitation à rebâtir la relation à travers l'expression de l'amour inconditionnel et de l'acceptation.  Si le coupable ne demande pas pardon et ne se repent pas, aucun pardon n'est accordé et aucune réconciliation n'est possible ; la relation ne peut pas reprendre même si la victime désire pardonner de tout cœur à son offenseur comme l'avait fait Jésus sur la croix.
Rétablir la relation sans repentance de l'agresseur c'est s'exposer à nouveau à être abusée. Jésus a demandé à son Père de pardonner à ses bourreaux, mais il ne les a pas pardonnés lui-même, même si le Père lui avait donné le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre, il n'usait de ce pouvoir seulement envers ceux qui se repentaient. Par contre, il désirait leur salut et intercédait en leur faveur auprès du Père que celui-ci leur accorde la repentance et puisse jouir de son pardon. Alors la réconciliation pourra avoir lieu avec ceux qui se seront repentis et auront accepté son pardon, avec ceux-là seuls la communion sera rétablie. David a été sage de s'éloigner de Saul quand celui-ci voulait le tuer, de même la victime fera preuve de sagesse en mettant une distance entre son abuseur non-repentant, quand bien même il s'agirait de son propre père.
Souvent les chrétiens se font exhortés à sauter rapidement à l'étape 4, mais ils découvrent rapidement que l'acceptation est une couverture superficielle qui cache des sentiments sous-jacents qui cause encore de la douleur. 
        III.     PARDON ET EXCUSE
Selon le sens commun, présenter des excuses, c’est reconnaitre avoir mal agi et en demander pardon. De fait, on n’accorde souvent le pardon que lorsque les excuses ont été présentées. C’est alors seulement que le processus du pardon peut être mis en route. Des actes de réparation de la part de celui qui a causé du tort constituent autant de signes de la sincérité et de l’authenticité de ses excuses[1].
Le pardon est un don gracieux et libre que l’on cherche à obtenir par l’aveu et réduit à une formule. « Le pardon est du reste réservé à Dieu »[2]. C’est vers lui que se tourne le pécheur pour demander pardon. Et Jésus lui- même demande à son Père de pardonner aux autres. C’est pourquoi dans le Nouveau Testament, le pardon est lié à la personne de Jésus, bien que le Père, à savoir Dieu, reste toujours son dispensateur[3]. Dieu l’accorde par le nom de Jésus et en Lui. Car selon l’encyclopédie de la foi, quand Dieu pardonne, Il ne tient plus compte du péché et en détourne les yeux. Notons qu’ici, le péché est considéré comme un acte qui ne peut plus être regardé comme n’ayant pas eu lieu, mais sur lequel cependant Dieu ferme les yeux quand il fait grâce au pécheur. En ce sens, le pardon signifie, renoncer volontairement à punir un délit ou une offense ou à recouvrer une dette.
        IV.     POURQUOI PARDONNER ?
Par le pardon, l’homme retrouve son identité et donne un sens à sa vie. Il exige avant tout une reconnaissance de la vérité historique, une contrition. Car c’est elle et elle seule qui libère.
Celui qui pardonne n’ignore pas le désire de vengeance mais il décide de le surmonter. La décision de ne pas se venger ne peut être prise que parce que, précisément, le désire de se venger est là, bien présent en nous, et qu’il veut emporter notre décision. C’est pour cela que le pardon demande un grand courage. C’est parce que la vengeance est désirable que le pardon est un devoir difficile. Le pardon n’est pas le fruit de l’inclination, il ne s’enracine pas dans un sentiment, mais dans une décision de la volonté. Il est un acte, une action, un évènement qui advient dans l’histoire pour en changer le cours.
Le pardon est un devoir de la vérité et la vérité est nécessaire. Elle est nécessaire pour connaitre le comportement du coupable. Elle est nécessaire pour que le cœur de l’homme ne soit pas enténébré à jamais et ne soit livré à la déshumanisation intégrale. Le pardon est aussi un devoir de la justice. Elle montre une disposition affective à reconnaitre et à réparer le mal. Le pardon est grâce et qui se laisse pardonner fait une expérience de grâce.
Il est aisé de signaler avec Jan PETERS, que pardonner suppose toujours qu’il existe une relation. Il s’agit habituellement d’un processus qui se joue entre des personnes individuelles ou entre Dieu et les croyants individuels[4]. Dans l’Ecriture ce genre de pardon joue un rôle entre Dieu et son peuple. On pense ici à la grande prière de pardon pour le peuple de Sodome (Gn 18, 22- 33), à l’intercession du prophète Amos en faveur du peuple menacé de destruction (Am 7, 1-6), au pardon qui conduit au mariage Dieu et son peuple (Os 2, 21-22)[5].
Le pardon est au-dedans de nos sagesses et de nos prudences. C’est pourquoi il demande un grand courage, tout au long de l’histoire. C’est un fait qui ne perd pas la mémoire du passé même si sa démarche n’abouti pas. Il exige la paix avec les autres comme avec soi- même. Pardonner reste la meilleure possibilité de libérer l’histoire du mécanisme aveugle de la violence.

           V.     CARACTERISTIQUES DU PARDON

1.                      La conscience du pardon
Il n’est toujours pas facile de convaincre quelqu’un pour pardonner ; moins encore, à quelqu’un qui sait pertinemment qu’il n’a pas péché. Et surtout, s’il a une conscience scrupuleuse ou une haute estime de soi- même comme baptisé et par conséquent, pas de péché.
Demander pardon implique la conscience du péché et suppose avant tout une démarche pénitentiaire. Il ne s’agit pas seulement d’une prise de conscience des péchés du passé. Mais aussi, ceux qui sont d’actualité ou encore le péché actuel, faute de quoi l’on n’est pas crédible. Ne pas parler du présent dans le processus de la démarche du pardon, c’est mettre en doute la sincérité de la démarche. Monseigneur Pedro CASALDALIGA faisait un humour peu après la déclaration « Dominus Iesus » : « je demande pardon pour ce document, mais dès à présent »[6]. De la même façon, qu’en sera t- il de nos relation avec Dieu ?
La prise de conscience de Pierre (Jn 21, 15- 19) et le regard croisé avec le Christ, laisse entrevoir un appel radical à la transformation. Dans notre relation avec Dieu, le pardon se trouve dans le regard, un regard qui n’identifie pas le mal du pécheur. Mais dans ce regard, Pierre se reconnait coupable.
Se reconnaitre coupable est une opération difficile souvent marqué par le remord. Parce que la prise de conscience emmène toujours une blessure par rapport à mon narcissisme : derrière l’existence de la faute, je ne reconnais pas la faute. Par conséquent, la généralisation : « tout le monde le fait, ce n’est pas de la faute » « ce n’est pas de ma faute, c’est l’autre » « c’est à cause de l’autre que j’ai commis cette faute ».
Prendre conscience de ses péchés c’est se mettre devant la profondeur de Dieu révélé dans le Christ. Tout péché abime l’image de l’autre et conduit à refuser la Justice et l’Amour. Ainsi, la prise de conscience conduit à une formulation qui est la preuve tangible d’un pardon réussit.
2.                      La formulation
Le langage du pardon ne devrait pas être un langage liturgique, abstrait. Le langage du pardon s’inscrit dans l’objectivité, dans la symbolique, tout à fait éloquent, si l’on a vraiment l’intention de parler clairement. La formulation du pardon devrait être celle- ci : « je demande pardon », comme l’a dit Monseigneur Pedro ou soit « nous demandons pardon ». Il en coûte vraiment de le faire avec humilité. Le publicain (Luc 18, 13), et la pécheresse (Luc 7, 37), dont parle l’évangile sont pour nous aujourd’hui, des paradigmes de celui qui veut demander pardon et comment le demander.
Demander pardon, est un acte suprême d’humilité, de simplicité et le refus de se rechercher des excuses. Il est bon de demander pardon, mais pas de manière abstraite et générale, pour tous les péchés. Il serait mieux de la faire en des moments importants, se concentrant sur le plus important. Quand on demande pardon, on devrait en toute honnêteté s’arrêter et penser à la réparation.

3.                      Le pardon, un pari sur l’avenir[7]
La demande de pardon est un rituel qui se tourne à la foi vers le passé et vers l’avenir. C’est un moment clé dans le processus de guérison des souvenirs. Demander pardon c’est arrivé à une nouvelle signification de ce qu’est la vérité au sujet de ce passé. Car pardonner n’est ni oublier le passé, ni chercher des excuses pour les actions commises, ce qui équivaudrait à banaliser les tors en cours en les mettant de côté.
Dans la demande du pardon, il faudra considérer la demande de pardon et le pardon lui- même, à la fois comme une nouvelle relation entre le causeur de torts et la victime d’une part et entre le passé et le futur d’autre part.
En effet, comme la demande de pardon et le pardon lui- même, la réparation doit être basée sur la vérité, c’est- à- dire sur un accord mutuel au sujet de ce qui s’est passé. Ce genre de vérité sociale a été défini comme un regard posé sur le passé, posé sur quelqu’un en qui on peut avoir confiance, et qui le représentera d’une manière compréhensible pour moi. Dans ce sens, la vérité est exigence de confiance dans la source qui présente le passé. Sil n’y a pas cette quête commune, ce qui est pris pour la vérité peut conduire à des actes de séparation qui ne sont que des actes de vengeance.
        VI.     CONCLUSION
Tout pardon est acte de pensée. L’énoncé du pardon créé le pardon et transforme la relation. Quelque soit la forme première qui l’a habité : peur ou lassitude. Le pardon consenti créé une relation pacifiée qui diffuse son bénéfice sur celui qui pardonne et sur celui qui est pardonné.  « Le pardon pensé même s’il est loin du vrai pardon, même s’il est encore entaché de haine et de crainte apporte une promesse de paix »[8]. Le fait de pardonner et de se pardonner redonne une dimension de l’humanité que la haine et la crainte avaient parfois réduite.
BIBLIOGRAPHIE
*                      Spiritus n° 162, Mars 2001
*                      Encyclopédie de la foi, Tome III, Cerf, Paris, 1966.
*                      Concilium, 204, 1986.
*                       M. VAILLANT Pardonner à ses parents, Cerf, Paris, 1994.
*                      Spiritus n° 170, Mars 2003.
*                      Bible de Jérusalem, nouvelle édition revue et augmenté, Paris/ Navarre, Cerf/ Verbum Bible, 2001

Sc. GAMENDE Aubert.



[1] Spiritus n° 162, pg. 63
[2] Encyclopédie de la foi, Tome III, Cerf, Paris, 1966, pg 254.
[3] Idem
[4] Concilium, 204, 1986, 13.
[5] Idem, pg 14
[6] Spiritus, n° 162, pg. 14
[7] Idem, pg 65- 66
[8] M. VAILLANT Pardonner à ses parents, pg 135.


Le mot blasphème est un terme de la langue grecque : blasphémia. Il signifie littéralement une blessure faite à la réputation de quelqu'un, tandis qu'on parle mal de lui. On le rencontre fréquemment dans la parole de Dieu, qu'il s'agisse de l'injure faite à Dieu ou aux choses qui lui appartiennent[1].
 Le fait de refuser reconnaître à Jésus la puissance de l'Esprit Saint opérant en Lui mettait l'homme dans l'impossibilité d'obtenir le salut, maintenant encore, on ne peut accéder au salut qu'en acceptant pour soi-même la valeur de l'ouvre accomplie par le Seigneur Jésus à la croix du Calvaire. Son sang a la capacité d'effacer tous nos péchés, mais il faut le recevoir par la foi.
 Disons-le tout de suite, personne ne sait vraiment ce que signifie « blasphémer contre l'Esprit Saint ». C'est en étudiant le contexte dans lequel Jésus prononce cette parole qu'on peut avoir des éléments de réponse. Ainsi, la plupart des commentateurs affirment qu'il s'agirait d'attribuer au démon ce qui est l'œuvre de Dieu en Jésus Christ, donc refuser la lumière et le pardon. Une telle attitude mettrait hors du salut. Si l'homme est excusable de se méprendre sur Jésus, son identité et sa mission, il ne le serait plus de fermer les yeux aux œuvres de l'Esprit. Dans ce cas, ce serait bien plus que mentir à Dieu[2].
Qu’est-ce que le blasphème contre le Saint Esprit[3]

  Le cas du “blasphème contre la Saint Esprit” dans le Nouveau Testament est mentionné dans Marc 3:22-30 et Matthieu 12:22-32. Le terme blasphème peut-être défini comme “défiance irrévérencieuse”. Nous appliquons ce terme pour des péchés tels que jurer par Dieu ou la profanation de choses en lien avec Dieu. Il peut aussi s’agir d’attribuer à Dieu des choses mauvaises ou de ne pas lui reconnaître le bien qu’il nous fait. Toutefois, ce cas-ci de blasphème est spécifique, nommé “LE blasphème contre le Saint Esprit” dans Matthieu 12:31. Dans Matthieu 12:22-32, les Pharisiens sont témoins de la preuve irréfutable que Jésus accomplit des miracles par la puissance du Saint Esprit, mais prétendent à la place qu’il est possédé par le démon “Belzébul” (Matthieu 12:24). Observez maintenant comment dans Marc 3:30 Jésus est tout à fait précis quant à ce qu’ils ont fait pour commettre le “blasphème contre le Saint Esprit.”

  Ce blasphème est avéré quand quelqu’un accuse Jésus-Christ d’être possédé par un démon au lieu d’être rempli de l’Esprit. Il y a d’autres moyens de blasphémer contre le Saint Esprit, mais celui-là est LE blasphème impardonnable. Ainsi, le blasphème contre le Saint Esprit ne peut être répété aujourd’hui, Jésus-Christ n’est plus sur terre, mais assis à la droite de Dieu. Personne ne peut être témoin des miracles que Jésus accomplit et ensuite attribuer ce miracle à Satan au lieu de l’Esprit. Même s’il n’y a pas de blasphème contre le Saint Esprit aujourd’hui, nous devrions toujours nous souvenir qu’il existe un état de vie impardonnable – l’état persistant d’incrédulité. Il n’y a pas de pardon pour qui meure dans l’incrédulité. Le rejet persistant des appels du pied du Saint Esprit à faire confiance à Jésus-Christ est le blasphème impardonnable. Souvenez-vous ce que déclare Jean 3:16 : “Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.” La seule condition de non-pardon, c’est d’être parmi ceux qui ne croient pas en Lui. 
«Le blasphème contre le St-Esprit[4]t équivaut à un suicide spirituel. Le blasphème ne peut jamais être pardonné, Mc.3:29. Résister à l'Esprit, c'est risquer la perdition éternelle. Ceux qui violaient la loi de Moïse étaient mis à mort sans pitié, mais «combien pire... sera le châtiment réservé à celui qui «aura outragé l'Esprit de la grâce» Hé.10:29. Ananias et Saphira payèrent un prix terrible pour avoir menti à l'Esprit Ac.5:1-10. Celui qui se rend coupable d'attrister ou d'éteindre l'Esprit peut facilement être dépouillé de sa joie et de sa victoire, et même perdre son salut.» - Raymond Carlson dans Dynamique spirituelle P.107
"Le péché impardonnable[5] de parler contre le Saint-Esprit a été interprété de différentes manières, mais le vrai sens ne peut pas contredire d'autres passages de l'Ecriture. Il est absolument clair que le seul péché impardonnable est le rejet permanent Christ (Jean 3:18; 3:36). Ainsi, parler contre le Saint Esprit est l'équivalent à rejeter Christ avec une telle finalité que toute repentance future est impossible. 'Mon esprit ne va pas lutter indéfiniment avec les hommes,' dit Dieu il y a fort longtemps (Genèse 6:3 (la Semeur)). …Dans le contexte de ce passage particulier (Matthieu 12:22-32), Jésus avait accompli un grand miracle de création, qui comportait à la fois la guérison et l'exorcisme d'un démon, mais les Pharisiens ont rejeté ce témoignage clair du Saint-Esprit. Au lieu de cela, ils ont attribué ses pouvoirs à Satan, manifestant ainsi une attitude de résistance permanente à l'Esprit, et à la nature divine et salvatrice de l'Evangile de Christ" [Henry M. Morris, The Defender's Study Bible (Iowa Falls, Iowa: World Bible Publishers, 1995), accentuation ajoutée.].

Dans la Bible
Compte[6] tenu de ce que nous avons dit jusqu'à maintenant, certaines autres paroles impressionnantes et saisissantes de Jésus deviennent plus compréhensibles. On pourrait les appeler les paroles du «non-pardon». Elles nous sont rapportées par les synoptiques, à propos d'un péché particulier qui est appelé «blasphème contre l'Esprit Saint». Voici comment elles ont été rapportées dans les trois rédactions:
Matthieu: «Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas remis. Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis; mais quiconque aura parlé contre l'Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l'autre».
Marc: «Tout sera remis aux enfants des hommes, les péchés et les blasphèmes tant qu'ils en auront proférés; mais quiconque aura blasphémé contre l'Esprit Saint n'aura jamais de rémission: il est coupable d'une faute éternelle».
Luc: «Quiconque dira une parole contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis, mais à qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, cela ne sera pas remis».
Pourquoi le blasphème contre l'Esprit Saint est-il impardonnable? En quel sens entendre ce blasphème? Saint Thomas d'Aquin répond qu'il s'agit d'un péché «irrémissible de par sa nature, parce qu'il exclut les éléments grâce auxquels est accordée la rémission des péchés».
Selon une telle exégèse, le «blasphème» ne consiste pas à proprement parler à offenser en paroles l'Esprit Saint; mais il consiste à refuser de recevoir le salut que Dieu offre à l'homme par l'Esprit Saint agissant en vertu du sacrifice de la Croix. Si l'homme refuse la «manifestation du péché», qui vient de l'Esprit Saint et qui a un caractère salvifique, il refuse en même temps la «venue» du Paraclet, cette «venue» qui s'est effectuée dans le mystère de Pâques, en union avec la puissance rédemptrice du Sang du Christ, le Sang qui «purifie la conscience des œuvres mortes».
Nous savons que le fruit d'une telle purification est la rémission des péchés. En conséquence, celui qui refuse l'Esprit et le Sang demeure dans les «œuvres mortes», dans le péché. Et le blasphème contre l'Esprit Saint consiste précisément dans le refus radical de cette rémission dont Il est le dispensateur intime et qui présuppose la conversion véritable qu'il opère dans la conscience. Si Jésus dit que le péché contre l'Esprit Saint ne peut être remis ni en ce monde ni dans l'autre, c'est parce que cette «non-rémission» est liée, comme à sa cause, à la «non-pénitence», c'est-à-dire au refus radical de se convertir. Cela signifie le refus de se tourner vers les sources de la Rédemption, qui restent cependant «toujours» ouvertes dans l'économie du salut, dans laquelle s'accomplit la mission de l'Esprit Saint. Celui-ci a le pouvoir infini de puiser à ces sources: «C'est de mon bien qu'il reçoit», a dit Jésus. Il complète ainsi dans les âmes humaines l'œuvre de la Rédemption accomplie par le Christ, en leur partageant ses fruits. Or le blasphème contre l'Esprit Saint est le péché commis par l'homme qui présume et revendique le «droit» de persévérer dans le mal - dans le péché quel qu'il soit - et refuse par là même la Rédemption. L'homme reste enfermé dans le péché, rendant donc impossible, pour sa part, sa conversion et aussi, par conséquent, la rémission des péchés, qu'il ne juge pas essentielle ni importante pour sa vie. Il y a là une situation de ruine spirituelle, car le blasphème contre l'Esprit Saint ne permet pas à l'homme de sortir de la prison où il s'est lui-même enfermé et de s'ouvrir aux sources divines de la purification des consciences et de la rémission des péchés.

  En effet, c'est à propos d'une querelle qui éclata au désert entre un homme égyptien et un homme israélite que nous lisons la première mention d'un blasphème[7] dans l'Ecriture. L'Egyptien blasphéma le Nom, est-il écrit, et le maudit. Il fut lapidé selon ce que Dieu avait dit à Moïse : « Celui qui blasphémera le nom du Seigneur sera certainement mis à mort » (Lv. 24 : 16).
Quand le roi David eut commis le forfait atterrant que l'on connaît, Nathan fut envoyé par Dieu vers lui. Le prophète dut lui dire entre autres paroles cinglantes : « Par cette chose tu as donné occasion aux ennemis du Seigneur de blasphémer » (2 Sm. 12 : 14). Et aujourd'hui, par un manquement quelconque, un croyant ne peut-il pas être la cause de quelque blasphème à l'adresse du Seigneur ?
  Lorsque le roi Ezéchias eut entendu les outrages et les cris des serviteurs du roi d'Assyrie, le prophète Isaïe l'encouragea et lui fit dire par ses serviteurs : « Ne crains pas à cause des paroles que tu as entendues, par lesquelles les serviteurs du roi d'Assyrie m'ont blasphémé » (2 Rois 19 : 6). Le Seigneur allait intervenir et le ferait tomber par l'épée.
Plus tard Dieu, voyant son peuple opprimé par le même roi d'Assyrie, dira par la bouche du même prophète : « Mon nom est continuellement blasphémé tout le jour » (Es. 52 : 5). Il y aurait d'une part les hurlements d'un peuple littéralement écrasé et d'autre part les blasphèmes adressés à Dieu sans cesse par ses ennemis.
Mais il est un autre prophète qui devra dénoncer l'attitude blasphématoire du peuple d'Israël lui-même. Ils blasphémaient le saint et grand nom du Seigneur, Dieu. Dans l'espace de quatre versets il est dit pas moins de cinq fois qu'ils profanèrent le saint nom de leur Dieu (Ez 36 : 20-23). Mais aussi le jour viendrait où un cœur nouveau et un esprit nouveau leur seraient donnés.
Il est très souvent parlé du blasphème dans le Nouveau Testament, qu'il s'agisse d'un blasphème contre Dieu ou d'un blasphème contre des individus. Il faut préciser cependant que le terme blasphémia est traduit en divers passages par un autre mot : calomnie, blâme, injure, outrage.
Calomnie : « nous sommes calomnieusement accusés » (ou : blasphémés), dit l'apôtre (Rm 3 : 8).
Blâme : « pourquoi suis-je blâmé (ou : blasphémé) pour une chose dont moi je rends grâces ? » (1 Co 10 : 30).
Injure : que toute amertume, est-il écrit, et toute injure (ou : blasphème) soient ôtées du milieu de vous (Eph 5 : 31). Et en Colossiens 3, 8 : renoncez, vous aussi, à toutes ces choses : ... injures (ou : blasphèmes), paroles honteuses venant de votre bouche. En 1Tm 6 : 4 nous sommes exhortés à éviter les disputes de mots d'où naissent les paroles injurieuses (ou : blasphèmes). En Tt 3 : 2 le serviteur de Dieu devait rappeler aux fidèles de n'injurier (ou blasphémer) personne.
-      Outrage : je connais « l'outrage (ou blasphème) de ceux qui se disent être Juifs, » dit le Seigneur aux fidèles de Smyrne (Ap 2, 9 et la note).
Il est à relever que les cinq auteurs des épîtres font mention du blasphème ou du fait de blasphémer.
L'apôtre Paul rappelle non seulement qu'il fut un blasphémateur (1 Tim. 1 : 13), mais qu'il contraignait les saints de blasphémer (Ac 26, 11).
L'apôtre Jacques parle des riches qui « blasphèment le beau nom » invoqué sur les fidèles (2, 7) et l'apôtre Pierre annonce dans sa deuxième épître que la voie de la vérité sera blasphémée (2, 2).
Saint Jean relate le fait que les Juifs voulaient lapider Jésus, parce que, étant homme, il disait être Dieu, ce qu'ils estimaient être un blasphème (Jean 10 : 33).
L'apôtre Jude enfin nous apprend qu'un archange, lors de la contestation touchant le corps de Moïse, « n'osa pas proférer de jugement injurieux » (ou : blasphème) contre le diable (v. 9).
Il est à souhaiter que nous prenions garde à de tels enseignements, veillant sur nos paroles, « afin que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée » (Tite 2 : 5). Cette exhortation, qui est adressée aux femmes croyantes, nous concerne tous.
Chacun sait qu'on a osé dire du Seigneur Jésus, Seigneur de gloire, qu'il prononçait des blasphèmes. Au début de son ministère, alors qu'il assure un paralytique du pardon de ses péchés, les scribes disant : « Cet homme blasphème ». Et à la fin, tandis que Jésus annonce devant le sanhédrin la venue du Fils de l'homme en gloire, le souverain sacrificateur déchire ses vêtements en disant : « il a blasphémé » (Matt. 9 : 3 ; 26 : 65). Plus tard les serviteurs de Dieu seront à leur tour accusés de blasphémer. Tel un Étienne, dont les Juifs diront : « Nous l'avons ouï proférant des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu » (Ac 6, 11).
Le cœur des hommes ne change pas. Le psalmiste déclare : « Il n'y a point de changement en eux, et ils ne craignent pas Dieu ». Et le prophète de dire : « Le cœur est... incurable ; qui le connaît ? Moi, Yahwh, je sonde le cœur » (Ps. 55, 19 ; Jr 17, 9, 10). A la fin des temps ils blasphèmeront comme par le passé, même sous les coups de la colère de Dieu. Tandis que les anges de la puissance du Seigneur Jésus exerceront la vengeance contre ceux qui ne connaissent pas Dieu, les hommes tenteront encore de s'insurger contre lui. Le livre de l'Apocalypse parle de sept anges qui verseront sur la terre les coupes du courroux de Dieu. Trois fois, dans le même chapitre, il est dit : « Ils blasphémèrent le Dieu du ciel », « les hommes blasphémèrent Dieu » (16 9, 11, 21).
Rappelons enfin que le Seigneur Jésus a parlé d'un blasphème particulier : le blasphème contre l'Esprit Saint. Qu'est-ce donc que ce blasphème ? Jésus avait guéri un démoniaque aveugle et muet, de sorte que celui-ci parlait et voyait (Mat 12, 22). Les pharisiens ne pouvaient nier le miracle mais, plutôt que de le reconnaître, ils l'attribuaient au chef des démons. Assimiler la puissance du Saint Esprit à la puissance du diable était un péché d'une extrême gravité pour lequel il n'y aurait pas de pardon : « Quiconque aura parlé contre l'Esprit Saint, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans celui qui est à venir » (Mat 12, 32). Ce siècle était le siècle de la loi, le siècle où se trouvaient les Juifs du temps d'alors, et le siècle à venir, celui où le Seigneur établirait son règne en gloire, c'est-à-dire le millénium. Entre ces deux siècles est le siècle actuel, le présent siècle mauvais, d'où aussi est retiré quiconque croit. Il ne semble donc pas qu'un tel péché, sans espoir de pardon, puisse être commis en ce siècle intermédiaire, qui est celui où Dieu fait grâce.
Le péché contre l'Esprit Saint[8]

      Pourquoi le blasphème contre l'Esprit Saint est-il impardonnable ? En quel sens entendre ce blasphème ? Saint Thomas d'Aquin répond qu'il s'agit d'un péché « irrémissible de par sa nature, parce qu'il exclut les éléments grâce auxquels est accordée la rémission des péchés ». Selon une telle exégèse, ce blasphème ne consiste pas à proprement parler à offenser en paroles l'Esprit Saint ; mais il consiste à refuser de recevoir le salut que Dieu offre à l'homme par l'Esprit Saint agissant en vertu du sacrifice de la croix. Si l'homme refuse la « manifestation du péché », qui vient de l'Esprit Saint (Jn 16,8) et qui a un caractère salvifique, il refuse en même temps la « venue » du Paraclet (Jn 16,7), cette « venue » qui s'est effectuée dans le mystère de Pâques, en union avec la puissance rédemptrice du Sang du Christ, le Sang qui « purifie la conscience des œuvres mortes » (He 9,14).

      Nous savons que le fruit d'une telle purification est la rémission des péchés. En conséquence, celui qui refuse l'Esprit et le Sang (cf. 1Jn 5,8) demeure dans les « œuvres mortes », dans le péché. Et le blasphème contre l'Esprit Saint consiste précisément dans le refus radical de cette rémission dont il est le dispensateur intime et qui présuppose la conversion véritable qu'il opère dans la conscience. Si Jésus dit que le péché contre l'Esprit Saint ne peut être remis ni en ce monde ni dans l'autre, c'est parce que cette « non-rémission » est liée, comme à sa cause, à la « non-pénitence », c'est-à-dire au refus radical de se convertir...

      Le blasphème contre l'Esprit Saint est le péché commis par l'homme qui présume et revendique le « droit » de persévérer dans le mal -- dans le péché quel qu'il soit -- et refuse par là même la Rédemption. L'homme reste enfermé dans le péché, rendant donc impossible, pour sa part, sa conversion et aussi, par conséquent, la rémission des péchés, qu'il ne juge pas essentielle ni importante pour sa vie. Il y a là une situation de ruine spirituelle, car le blasphème contre l'Esprit Saint ne permet pas à l'homme de sortir de la prison où il s'est lui-même enfermé.
Sc. GAMENDE Aubert mccj.

WEBOGRAPHIE











[2] Hervé Tremblay, op.
Professeur au Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa), i http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2004/clb_040924.htm
[3] http://www.gotquestions.org/Francais/blaspheme-Saint-Esprit.html
[8] Jean Paul II
Encyclique « Dominum et vivificantem », § 46 (trad.
© Libreria Editrice Vaticana), in
http://www.christiananswers.net/french/q-eden/unpardonablesin-fr.html.





Les indulgences[1]            
La doctrine et la pratique de l’indulgence dans l’Eglise sont liées aux effets du sacrement de Pénitence.
" L’indulgence est la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée, rémission que le fidèle bien disposé obtient à certaines conditions déterminées, par l’action de l’Église, laquelle, en tant que dispensatrice de la rédemption, distribue et applique par son autorité le trésor des satisfactions du Christ et des saints "[2].
" L’indulgence est partielle ou plénière, selon qu’elle libère partiellement ou totalement de la peine temporelle due pour le péché "[3]. " Tout fidèle peut gagner des indulgences pour soi-même ou les appliquer aux défunts "[4].
Les peines du péché
Pour comprendre cette doctrine et cette pratique de l’Église il faut voir que le péché a une double conséquence. Le péché grave nous prive de la communion avec Dieu, et par là il nous rend incapables de la vie éternelle, dont la privation s’appelle la " peine éternelle " du péché. D’autre part, tout péché, même véniel, entraîne un attachement malsain aux créatures, qui a besoin de purification, soit ici-bas, soit après la mort, dans l’état qu’on appelle Purgatoire. Cette purification libère de ce qu’on appelle la " peine temporelle " du péché. Ces deux peines ne doivent pas être conçues comme une espèce de vengeance, infligée par Dieu de l’extérieur, mais bien comme découlant de la nature même du péché. Une conversion qui procède d’une fervente charité, peut arriver à la totale purification du pécheur, de sorte qu’aucune peine ne subsisterait[5].
Le pardon du péché et la restauration de la communion avec Dieu entraînent la remise des peines éternelles du péché. Mais des peines temporelles du péché demeurent. Le chrétien doit s’efforcer, en supportant patiemment les souffrances et les épreuves de toutes sortes et, le jour venu, en faisant sereinement face à la mort, d’accepter comme une grâce ces peines temporelles du péché ; il doit s’appliquer, par les œuvres de miséricorde et de charité, ainsi que par la prière et les différentes pratiques de la pénitence, à se dépouiller complètement du " vieil homme " et à revêtir " l’homme nouveau " (cf. Ep 4, 24).
Dans la communion des saints
 Le chrétien qui cherche à se purifier de son péché et à se sanctifier avec l’aide de la grâce de Dieu ne se trouve pas seul. " La vie de chacun des enfants de Dieu se trouve liée d’une façon admirable, dans le Christ et par le Christ, avec la vie de tous les autres frères chrétiens, dans l’unité surnaturelle du Corps mystique du Christ, comme dans une personne mystique "[6].
Dans la communion des saints " il existe donc entre les fidèles – ceux qui sont en possession de la patrie céleste, ceux qui ont été admis à expier au purgatoire ou ceux qui sont encore en pèlerinage sur la terre – un constant lien d’amour et un abondant échange de tous biens " (ibid.). Dans cet échange admirable, la sainteté de l’un profite aux autres, bien au-delà du dommage que le péché de l’un a pu causer aux autres. Ainsi, le recours à la communion des saints permet au pécheur contrit d’être plus tôt et plus efficacement purifié des peines du péché.
 Ces biens spirituels de la communion des saints, nous les appelons aussi le trésor de l’Église, " qui n’est pas une somme de biens, ainsi qu’il en est des richesses matérielles accumulées au cours des siècles, mais qui est le prix infini et inépuisable qu’ont auprès de Dieu les expiations et les mérites du Christ Notre Seigneur, offerts pour que l’humanité soit libérée du péché et parvienne à la communion avec le Père. C’est dans le Christ, notre Rédempteur, que se trouvent en abondance les satisfactions et les mérites de sa rédemption (cf. He 7, 23-25 ; 9, 11-28) ".
" Appartiennent également à ce trésor le prix vraiment immense, incommensurable et toujours nouveau qu’ont auprès de Dieu les prières et les bonnes œuvres de la bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints qui se sont sanctifiés par la grâce du Christ, en marchant sur ses traces, et ont accompli une œuvre agréable au Père, de sorte qu’en travaillant à leur propre salut, ils ont coopéré également au salut de leurs frères dans l’unité du Corps mystique " (Paul VI, const. ap. " Indulgentiarum doctrina " 5).
Obtenir l’indulgence de Dieu par l’Église
L’indulgence s’obtient par l’Église qui, en vertu du pouvoir de lier et de délier qui lui a été accordé par le Christ Jésus, intervient en faveur d’un chrétien et lui ouvre le trésor des mérites du Christ et des saints pour obtenir du Père des miséricordes la remise des peines temporelles dues pour ses péchés. C’est ainsi que l’Église ne veut pas seulement venir en aide à ce chrétien, mais aussi l’inciter à des œuvres de piété, de pénitence et de charité (cf. Paul VI, loc. cit. 8 ; Cc. Trente : DS 1835).
Puisque les fidèles défunts en voie de purification sont aussi membres de la même communion des saints, nous pouvons les aider entre autres en obtenant pour eux des indulgences, de sorte qu’ils soient acquittés des peines temporelles dues pour leurs péchés.

GAMENDE Aubert



[1]Jean-Paul II,  Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1471-1479
[2] Paul VI, const. ap. " Indulgentiarum doctrina ", Norme1.
[3] Idem, norme 2.
[4] Jean-Paul II, Code de Droit Canonique, 994.
[5] Concile de Trente in DS, 1712-1713, 1820.
[6] Paul VI, const. ap. " Indulgentiarum doctrina, norme 5.




La déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes  souligne que l’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les autres religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même  tient et propose, cependant, apportent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes.[1]  
Par ailleurs, le Décret sur l’œcuménisme met l’accent sur l’unité entre les chrétiens ; Une Seule et Unique Eglise instituée par le Christ Seigneur.  Nonobstant que chaque autre communion chrétienne se croit comme véritable héritage de Jésus-Christ.[2]  En plus des scissions entre les communautés chrétiennes qui l’affligent depuis les siècles[3], le gout de retisser la tunique sans couture du Christ, que les soldats n’ont pas déchiré et qui est devenue l’image de l’unité de l’Eglise, comme affirme saint Cyprien.[4]
En instituant  le sacrement de Pénitence, le Christ comme le seul sauveur, a voulu  faire des tous les membres pécheurs de son Eglise, le peuple élu sans tâche ni ride Et  Comme affirme le CEC : La Pénitence comme tous les autres sacrements est une action universelle et liturgique qui demande tout un rituel et tous les éléments pour la célébration.  «Le Christ a voulu que son Eglise soit tout entière, dans sa prière, sa vie et son agir, le signe et l’instrument du pardon et de la réconciliation qu’Il nous a acquis au prix de son sang.  Il a cependant confié l’exercice du pouvoir d’absolution au ministère apostolique. » [5] 
  A la question de savoir  si un chrétien non catholique peut faire pénitence dans l’Eglise catholique et plus précisément dans le cas du mariage mixte, nous  tenons  à signaler que «autre fois le mariage mixte posait problème dans l’Eglise catholique et surtout si l’époux est un chrétien non catholique.  On arrivait même à excommunier un chrétien catholique qui acceptait que son enfant reçoive une éducation non catholique.»[6]
Actuellement, et surtout avec le conseil œcuménique  les choses commencent à changer.  On peut accepter le mariage mixte : mariage entre un catholique et un baptisée non catholique ou un non baptisé. Malgré les lacunes qui peuvent subvenir.[7] 
Quant au sacrement de réconciliation,  le concile œcuménique Vatican II affirme : «On peut conférer aux orientaux le sacrement de pénitence, et dans certains cas les catholiques peuvent le demander au ministre non catholique EO 27, 649 »[8]  A cet effet,  Pape Benoit XVI précise : «Il reste vrai toutefois qu’en vue du salut éternel, il est possible d’admettre des chrétiens non catholiques individuellement à l’Eucharistie, au sacrement de la Pénitence et à l’onction des malades.  Cela suppose cependant de vérifier qu’il s’agit de situation déterminées et exceptionnelles selon des conditions précises »[9]
   Cependant, le CEC nous présente  les différentes dénominations de ce sacrement : sacrement de conversion : «puisqu’il réalise sacramentellement l’appel de Jésus à la conversion… sacrement de Pénitence puisqu’il consacre une démarche personnelle et ecclésiale de conversion, de repentir et de satisfaction du chrétien pécheur ; sacrement de la confession puisque l’aveu, la confession des péchées devant le prêtre est un élément essentiel de ce sacrement.  Elle est aussi une ‘confession dans un sens profond’ ; reconnaissance et louange de la sainteté de Dieu et de sa miséricorde envers l’homme pécheur ; sacrement du pardon puisque par l’absolution sacramentelle du prêtre, Dieu accorde au pénitent ‘le pardon et la paix’ ; sacrement de Réconciliation, car il donne au pécheur l’amour de Dieu qui réconcilie … »[10]
Le sens du pardon se révèle dans la reconnaissance de l’état du péché et dans la ferme résolution de réparer sa faute et de retourner vers Dieu.   La générosité particulière du pardon de Dieu consiste à restaurer l’homme dans son état premier. C’est cela même le sens de la  manifestation de l’amour par excellence de Dieu.  Toutes fois, le pardon de Dieu  est universel, il est possible à tout ce qui ouvre son cœur à Lui, le ministre comme instrument par lequel dans l’Eglise la grâce de l’absolution se transmet, doit remplir sa tâche sacramentel dignement en bon pasteur qui est à la recherche permanente de brebis perdue.

Redemptoris sacramentum[11]

Le 25 mars 2004, la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements a publié l'Instruction «Redemptionis Sacramentum», sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie. Le Pape Jean-Paul II a ordonné qu'elle soit publiée et observée. Le texte de cette Instruction est sur le site web du Vatican [www.vatican.va]. Ce qui suit n'est que mon résumé de certains aspects qui semblent négligés ici au Québec.
2) Qu'est-ce qu'il faut éviter?
2.1) Les prêtres n'ont pas le droit de modifier la liturgie. Ni les prêtres, ni les diacres, ni les fidèles n'ont le droit de changer quoi que ce soit dans les textes officiels de la Liturgie [No. 59, aussi No. 31].
2.2) Les laïques n'ont jamais le droit de faire l'homélie. [Nos. 64-66, et 161].
2.3) La prière eucharistique doit être récitée par le prêtre seul. En d'autres mots, les fidèles ne doivent pas dire: «Par Lui, avec Lui et en Lui» (Per Ipsum), etc. [No. 52].
2.4) L'homélie doit contenir du dogme et de la morale. L'homélie doit exposer ce qu'il faut croire pour être catholique (le dogme) et ce qu'il faut faire pour aller au Ciel (la morale) [No. 67].
2.5) Le prêtre ne doit pas rompre l'hostie au moment de la consécration
2.6) On ne doit pas communier en état de péché mortel. Les prêtres doivent s'assurer que les gens qui participent à la messe le sachent. [No. 80-81 et 84]. Ceci semblerait une règle particulièrement bafouée durant les Messes (comme les Messes de Minuit, ou les Messes de funérailles, etc.) où un grand nombre de participants sont en pratique non-catholiques, ou vivent en état de péché mortel continuel.
2.7) On n'a pas le droit de refuser de donner la communion à un fidèle qui veut communier à genoux ou qui veut recevoir l'hostie sur la langue. [No. 91-92].
2.8) On ne doit pas «se sauver» avec l'Hostie. Il faut communier devant le prêtre, et ensuite seulement s'en retourner à sa place. On ne doit pas donner l'Hostie aux gens qui «se sauvent» avec [No. 92].
2.9) Une patène doit être utilisée. Afin d'éviter que l'Hostie ou des fragments tombent au sol, une patène (sorte d'assiette) doit être maintenue sous l'Hostie [No. 93].
2.10) Tout acte de mépris, volontaire et grave, envers les Saintes Espèces, entraîne l'excommunication automatique [No. 107].
2.11) L'adoration du Très Saint Sacrement en dehors des messes ne doit pas être découragée [No. 129 et 134-141].
2.12) On ne peut pas empêcher un prêtre de célébrer la messe de Paul VI en latin. «À l'exception des Messes, qui doivent être célébrées dans la langue du peuple en se conformant aux horaires et aux temps fixés par l'autorité ecclésiastique, il est permis aux prêtres de célébrer la Messe en latin, en tout lieu et à tout moment.» [No. 112]
Etc., etc.
3) Pourquoi faut-il éviter ces choses?
En gros, il faut éviter les abus liturgiques un peu pour la même raison qu'on doit éviter d'abuser des médicaments. Si on ne respecte pas le mode d'emploi d'un médicament, on risque d'empirer notre maladie et même d'en mourir. De la même manière, si on utilise mal le «médicament» liturgique, l'humanité ne pourra pas guérir ses plaies spirituelles.
La liturgie est un «médicament» pour l'âme, surtout le Très Saint Sacrement (qui est la source et le sommet de la vie chrétienne, car c'est Jésus-Christ lui-même qui est réellement présent dans l'Eucharistie) [Nos. 1-2, et No. 185]. Plus on respecte les normes liturgiques (autant par nos gestes extérieurs que par nos vertus intérieures de foi et de charité), plus on se rapproche du Christ [No. 5]. En latin, on dit : «Lex orandi, lex credendi», qu'on pourrait traduire par «Dis-moi comment tu célèbres ta liturgie, et je te dirai ce que tu crois» [No. 10]. Les fidèles ont le droit de bénéficier d'une véritable liturgie «qui soit conforme à ce que l'Église a voulu et établi, c'est-à-dire telle qu'elle est prescrite dans les livres liturgiques et dans les autres lois et normes.» [No. 12]
Les prêtres qui «tripotent» la liturgie brisent l'unité de l'Église, et dérobent la nourriture spirituelle aux fidèles affamés de Dieu [No. 11]. Ces choses sont inadmissibles et doivent cesser [No. 4].
4) Que faire si on voit quelqu'un enfreindre ces règles?
Il y a pour ainsi dire deux remèdes à ce vice: la carotte et le bâton. La «carotte» est la formation liturgique et biblique des catholiques (et aller lire le texte officiel de l'instruction «Redemptionis Sacramentum» serait déjà un bon commencement!), et le «bâton» est la dénonciation des coupables pour qu'ils soient punis selon le Droit Canon. [No. 170]
Tous les fidèles peuvent et doivent dénoncer les abus liturgiques, de manière charitable et précise, d'abord au prêtre concerné, ensuite à l'évêque du lieu, et enfin à Rome si on ne corrige pas l'abus [Nos 183-184].


[1] Nostra aetate num. 2 paragraphe 2
[2] Unitatis redintegratio num. 1
[3] Jean Paul II, Reconciliatio et peanitentia, p. 6
[4] Saint Cyprien, De ecclésiae catholicae unit                ate 7 cité dans Idem p.6
[5] CEC 1442
[6] Même l’ancien droit canon (2379 du 1060-1064) 
[7]DROGUET-ARDANT, Encyclopédie catholique pour tous, Paris, Fayard, 1989 p. 977a
[8] Le concile œcuménique Vatican II p.890b
[9]Benoit XVI, exhortation apostolique post-synodale «Sacramentum caritatis » du 2006 au numéro 56 
[10] CEC 1423-1424



LA CONNAISSSANCE DE L’INCONNU
Pour une fraternité universelle


Il ya une ambiguïté apparente dans cette expression. Mais elle est porteuse de sens. Dès qu’un inconnu est connu, il n’est plus normalement inconnu. Il devient un connu. Pour que l’inconnu connu ne demeure plus inconnu, il faut dire que l’inconnu est connu sans être jamais vu. Le fait d’être inconnu ne porte pas atteinte à son existence. Il existe même si personne ne l’a jamais vu. L’effort de clarification de cette ambiguïté nous permet de préciser le point sur lequel veut porter cette cogitation. En parlant de la connaissance de l’inconnu, nous voulons penser, à partir du trisyllabe connaître, « une fraternité universelle, base indispensable d’une justice authentique et condition d’une paix durable. » Cette fraternité universelle est aussi base de la réconciliation dans la vérité, c’est-à-dire une réconciliation qui n’est pas sporadique. Notre réflexion se veut tripartite. Dans la première partie, il sera question de découvrir un autre sens du trisyllabe ci-haut mentionné. Cela nous conduira à montrer dans la deuxième partie notre conception de la fraternité universelle. Interviendra la troisième partie où il sera question de l’imbrication de cette conception dans la culture de la justice, la paix et la réconciliation.

La découverte du sens
Plusieurs sens des choses et des mots restent cachés par manque de questionnement. Il ya des étonnements qui restent à leur premier degré au lieu d’être une genèse de sens. La question que l’on se pose est importante que la réponse qu’on peut trouver, car cette dernière doit être objet d’une autre question. Dans les rencontres interpersonnelles, il y a de quoi s’interroger. Ayant appris le savoir vivre en société, un monsieur a salué poliment un jeune garçon à notre présence.  Sans hésiter, ce dernier lui répond par ces mots : « Tu me salues, est-ce que je te connais ? » Cette réponse nous donna à penser. Elle avait frappé notre sensibilité qu’elle suscitât les interrogations suivantes : que signifie connaître ? Ou encore quel est le sens de ‘je te connais’ ? Dans quelle condition peut-on dire ‘je ne te connais pas’ ? Qu’est-ce que l’on peut connaître ?

Ces questions nous ont poussés à recourir à plusieurs dictionnaires. Mais toutes les explications données à ce trisyllabe n’ont pas répondu à notre inquiétude. Malgré cette insatisfaction, nous avons trouvé que ce trisyllabe peut avoir plusieurs objets si bien que quelqu’un peut dire : « je connais la science, je connais cette histoire, je connais cette chanson, je ne connais pas cette méthode, je connais sa malice, je connais cet homme. » Dans le dernier exemple, il s’agit de connaître une personne. C’est ce qui nous intéresse ici. Cette connaissance peut se comprendre dans un premier moment au niveau de l’identité. Alors, en disant connaître cet homme,
l’on peut s’arrêter sur son nom, sa nationalité,  sa tribu, ses frères et ses sœurs, son épouse, ses enfants, sa profession et les éléments de ce genre. C’est à ce niveau de connaissance qu’on s’arrête le plus souvent. Est-ce seulement ça connaître ? Il faut s’élever pour découvrir un autre sens de ce trisyllabe.

En effet, en l’interrogeant, il nous fait comprendre ce qu’il signifie pour répondre à notre préoccupation. Voilà qu’il se laisse prendre à partir de ses composantes : con-naître. Nous nous permettons de dire cum-nascere, c’est-à-dire naître avec tout en sachant que connaître se traduit en latin par cognoscere et non par conascere. C’est un balbutiement d’invention de sens. Alors nous comprenons maintenant, la profondeur cachée dans une phrase comme : « je te connais » En d’autres termes, cette phrase peut se comprendre de la manière
 suivante : « je nais avec te (toi). »

Donc en plus du contenu sémantique de ‘connaître’, que nous trouvons dans différents dictionnaires, il signifie aussi « naître avec ». Ce sens peut s’appliquer aux autres emplois de ce trisyllabe en faisant appel à un ‘comme si’. On dira alors que tel connait cette histoire comme s’il est né avec aux lèvres. Lorsque l’objet est un être humain, le sens se dégage avec beaucoup de « profondité ». C’est là qu’il faut penser la fraternité universelle.

De la fraternité universelle
La découverte du sens étant déjà faite, il reste maintenant à montrer, notre conception de la fraternité universelle. Il nous faut préciser avant tout qu’il n’est pas question ici de la fraternité universelle au sens sectaire mais de la fraternité qui considère tout être humain comme mon frère. Comment cela est-ce possible ? En suivant la logique de notre réflexion, lorsque A dit : « je connais B », il affirme qu’il est né avec lui. Donc il est frère de B en tant qu’il est un être humain quelle que soit la situation de cette connaissance : heureuse ou malheureuse. Il peut être proche ou éloigné, du même village ou pas, tout cela est accessoire.
Il y a des personnes que l’on n’a jamais rencontrées mais que l’on peut affirmer connaître. Cette rencontre peut être informelle, c’est-à-dire à travers les moyens de communication. Alors l’on peut dire connaître toutes les victimes du tremblement de terre à Haïti. Nous comprenons avec cet exemple et bien d’autres que notre trisyllabe traverse la distance, le temps, les rangs sociaux, les peuples, les races, les langues etc. Il est sans frontière d’autant plus que A peut connaître B sans partager les mêmes aires géographiques avec lui.
Ce sont des inconnus connus. Tout le monde est mon frère en tant qu’il est un être humain. Cette fraternité va au delà de celle biologique. Elle s’inscrit au stade ontologique. Alors nous pouvons définir la fraternité universelle comme l’ensemble de tous ‘ les crées à l’image de Dieu ‘.
Son imbrication dans la culture de la justice, la paix et la réconciliation.

Il est ici question de montrer comment la fraternité universelle est une base importante à la culture de la justice, la paix et la réconciliation. Considérons et analysons pour cela les réponses suivantes à la question ‘connaissez-vous cet homme ‘? La première réponseest de celui qui affirme le connaître, car ils se sont rencontrés une fois pour partager une tasse de café et en plus ils sont d’un même village … Le deuxième répond qu’il le connaît, car il a entendu parler de lui. Le troisième quant à lui, élève la voix en disant qu’il le connaît,car c’est lui qui a tué ses parents et brûlé leur village après avoir pillé toutes les cases.
Il va de soi de remarquer la fraternité en écoutant la première réponse. Cette fraternité est exprimée par la rencontre et le partage… Il faut s’inscrire à notre école pour fraterniseravec celui dont on a seulement entendu parler. Mais il ya du neuf dans la troisième réponse.


En osant dire ‘connaître’, l’on affirme ‘naître avec’ ; donc une acceptation de l’autre comme frère. Ainsi, celui qui dit qu’il connaît cet homme, car c’est lui qui a tué ses parents, affirme en même temps qu’il est son frère. Quelle merveille ! L’acte de reconnaître l’autre comme un frère quels que soient sa situation, son lieu de provenance, son crime est une pierre sur laquelle la paix, la justice et la réconciliation peuvent être bâties. Il ne s’agit pas d’une justice qui a pour principe ce que nous pouvons appeler la « ndekoïté », c’est-à-dire considérer comme frère seulement ceux qui me sont proche par le sang ou par le lieu de provenance. Pour cela, sachant qu’il ya des frères dans le monde, il est impossible d’entretenir des conflits de guerre, car c’est nuire aux frères.

A partir de tout ce qui précède, nous pouvons maintenant imaginer la lourdeur de la négation de connaître. Lorsque ‘A’ dit ne pas connaître ‘B’, il affirme que ‘B’ n’est pas son frère, car il n’est pas
né avec lui. C’est en d’autres termes nier l’existence de ‘B’ ; et pourtant il existe ! On ne dirait tranquillement pas cette négation. Il lui faudrait des euphémismes pour adoucir la gravité de sa portée sémantique.

Conclusion

Nous concluons par cette série de questions pour nous rendre compte de la responsabilité
que nous avons envers nous et envers le monde. Que répondrions-nous à celui qui nous demanderait : Connaissez-vous les enfants qui dorment dans la rue et qui se meurent de faim, derrière votre maison ? Connaissez-vous ces femmes victimes de la violence et de la méchanceté de l’homme ? Connaissez-vous ces prisonniers, victimes de l’injustice ? Connaissez-vous ces immigrants clandestins qui débarquent chez vous? Connaissez-vous ceux qui se disputent les frontières de votrepays ? Il ne s’agit pas d’un appel à la passivité. Mais l’effort à faire est d’avoir toujours présent à l’esprit ce nouveau sens. Alors notre justice, notre paix et notre réconciliation auront un fondement qui nous oblige même sans le vouloir, de chercher toujours le bien decelui que nous connaissons. 
                                                                       
                                                                                                Sc. Anatole MUGHENDI